« L’assassin du train – Les sœurs Mitford enquêtent, volume 1 », de Jessica Fellowes

Présentation de l’œuvre

Titre : L’assassin du train Les soeurs Mitford enquêtent, volume 1

Autrice : Jessica Fellowes

Éditeur : Le livre de poche

Parution : 9 Mai 2019

Statut : Premier tome d’une série de cosy mystery organisée autour du personnage fictif de Louisa Cannon, chaperonne des sœurs Mitford qui elles ont bel et bien vécu au début du XXème siècle.

EAN/ISBN : 9782253259909

Résumé : Louisa Cannon rêve d’échapper à sa vie misérable à Londres, mais surtout à son oncle, un homme dangereux. Par miracle, on lui propose un emploi de domestique au service de la famille Mitford qui vit à Asthall Manor, dans la campagne de l’Oxfordshire. Là, elle devient bonne d’enfants, chaperon et confidente des soeurs Mitford, en particulier de Nancy, l’aînée, une jeune fille pétillante à l’esprit romanesque. Mais voilà qu’un crime odieux est commis : une infirmière, Florence Nightingale Shore, est assassinée en plein jour à bord d’un train. Louisa et Nancy se retrouvent bientôt embarquées dans cette sombre affaire. S’inspirant d’un fait réel (le meurtre de Florence Nightingale Shore encore non élucidé à ce jour), ce roman captivant nous emmène dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, des milieux défavorisés aux fastes de la High Society, à travers les déboires de Louisa, jeune servante d’origine modeste, et la soif d’aventure de Nancy, jeune aristocrate effrontée, toutes deux devenues complices et bien décidées à trouver l’assassin du train…

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire L’assassin du train?

C’est encore une fois suite à une proposition de Ludivine des Lectures du Chatpitre que je me suis retrouvée embarquée dans l’aventure! J’avais déjà repéré cette série en me disant qu’elle avait l’air sympa mais je n’avais pas encore franchi le pas de l’achat. Je me disais en effet que rien ne pressait et que j’avais quand même de quoi faire côté lectures. Mais quand Ludivine m’a suggéré que nous lisions ce titre ensemble, j’ai saisi l’occasion et me le suis procuré, décision que je ne regrette absolument pas!

Une série policière à part

Les soeurs Mitford enquêtent est pour moi une série complètement à part dans l’univers des romans policiers, pour des raisons que j’évoquerai un peu plus loin, mais ce n’est pas un cosy mystery, bien qu’il puisse être rangé dans cette catégorie sur les étals des librairies. Je vous explique pourquoi.

Pour celleux qui ne le savent pas, le cosy mystery est un style de roman policier venu tout droit d’Angleterre. Les ingrédients d’un bon cosy sont les suivants : un personnage qui se réfugie ou habite dans la campagne anglaise se retrouve à enquêter un peu malgré lui sur un meurtre, soit en prêtant volontairement main forte à la police, soit en s’invitant dans l’enquête car la police n’est pas très douée. Les enquêtes sont légères, se déroulent dans un village de carte postale souvent isolé où tout le monde se connaît, où les méchants ne sont jamais très méchants et où le thé coule à flots. Pour résumer, le cosy est au roman policier ce qu’est le feel-good à la littérature : une lecture détente.

L’exemple le plus connu de cosy mystery est celui de la série Agatha Raisin de M.C. Beaton, dont le premier tome La quiche fatale est paru en Angleterre en 1992. Ce sous-genre existe donc depuis longtemps mais ne s’est importé en France que depuis quelques années, les premières traductions françaises d’Agatha remontant à 2016.

Or, nous assistons depuis 2020/2021 à une explosion de cette branche particulière du roman policier en France, ce qui conduit à mon sens à une utilisation abusive de l’appellation cosy mystery, celle-ci étant devenue très vendeuse. Ainsi, des romans policiers classiques sont rattachés à ce genre alors qu’ils n’en ont quasiment aucune des caractéristiques. C’est le cas par exemple de L’année du gel d’Agathe Portail, roman policier paru en 2017, réédité en poche il y a peu et présenté sur certains étals de librairie avec les cosy mystery alors qu’il n’en a aucune des caractéristiques sauf celle d’en reproduire très légèrement l’ambiance avec une tante qui materne un peu son neveu gendarme.

Selon moi, la série des Sœurs Mitford enquêtent souffre elle aussi de ce classement abusif dans cette catégorie. Certes, l’héroïne Louisa Cannon n’est pas policière ; elle mène l’enquête en étant secondée par Guy Sullivan qui n’appartient pas aux forces de police traditionnelles puisqu’il est officie pour les chemins de fer. Mais l’ambiance et l’intrigue sont très sombres (il est question de la Première Guerre mondiale et de ses atrocités), l’autrice nous fait ressentir l’insécurité que les femmes pouvaient ressentir à l’époque à travers l’épisode du bal notamment et il règne une tension permanente sur Louisa que son oncle bat et prévoit de prostituer avant qu’elle ne réussisse à s’enfuir : pour le côté cosy (« cocon » en français), on repassera!

A mes yeux, Les sœurs Mitford enquêtent est donc une série policière qui se déroule dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, point. Elle illustrerait parfaitement un sous-genre qui pourrait s’intituler « roman policier historique inspiré de faits réels », au même titre que la série Les enquêtes des sœurs Brontë créée par Bella Ellis qui utilise le même ressort narratif (mêler la vie réelle des sœurs Brontë avec des enquêtes fictives en y ajoutant une touche de surnaturel).

Un savant mélange de réalité et de fiction.

Ce qui fait à mes yeux la grande force et l’originalité de cette série est qu’elle est fondée à 70% sur des faits réels. En effet, le meurtre utilisé dans le cadre de ce premier tome a réellement eu lieu. Il s’agit d’un fait divers qui n’a jamais été élucidé, celui de l’assassinat de Florence Nightingale Shore le 12 janvier 1920 dans le train partant de Londres et ayant pour destination Hastings. Tous les éléments décrits dans le roman sont tirés de la véritable enquête menée à l’époque. Les témoins, les noms, les faits, tout est fidèlement retranscrit par Jessica Fellowes.

Ensuite, les sœurs Mitford ne sont pas des personnages de fiction mais de vraies personnes qui ont vécu entre le début du XXème siècle et le début du XXIème : Déborah, la plus jeune des sœurs, est morte en 2014. Nancy, Pamela, Diana, Unity, Jessica, Déborah et leur unique frère Thomas sont nés entre 1904 et 1920 et ont eu des vies plutôt mouvementées et très différentes. L’autrice fait donc coïncider avec bonheur la chronologie de la vie des Mitford avec celle du fait divers.

Née en 1904 et aînée de la fratrie, Nancy a 16 ans au moment du meurtre de Florence Nightingale Shore, âge que lui prête Jessica Fellowes dans ce premier volume, et il est naturel qu’à cet âge et compte-tenu des nombreux enfants de la maisonnée, une gouvernante soit nécessaire. C’est là que le personnage fictif de Louisa Cannon entre en scène. Il est de notoriété publique que les gouvernantes se sont succedées dans la maison Mitford et que l’éducation des enfants a été assez approximative, bien qu’ils soient issus d’une famille de la haute société britannique. Il était donc facile et logique de faire de Louisa, l’héroïne de la série en duo avec Nancy, une gouvernante en charge de toute la fratrie.

L’autrice réussit donc un savant mélange entre réalité et fiction. Les personnages ayant existé sont retranscrits avec fidélité et l’ajout de Louisa, de sa famille et de Guy Sullivan, le policier des chemins de fer aspirant policier tout court, se fait assez naturellement.

Des personnages attachants, une intrigue complexe et bien menée.

Dans L’assassin du train, qui est donc le premier tome de sa série, Jessica Fellowes met l’accent sur les personnages de Louisa, Guy et Nancy que nous retrouverons dans les volumes suivants.

Louisa Cannon est un personnage à l’histoire trouble et assez lourde à porter. Nous apprenons dès le début qu’elle a perdu son père, qu’elle vit avec sa mère qui est blanchisseuse et que son oncle est un homme violent qui l’a formée dès son plus jeune âge à devenir pickpocket et veut la prostituer pour payer ses dettes. Il vit avec sa mère et elle sans contribuer au quotidien. C’est en cherchant à le fuir qu’elle se retrouve dans le train où Florence Nightingale Shore est assassinée. Elle rencontre sur le quai de la gare Guy Sullivan, un policier des chemins de fer intelligent, qui va chercher à comprendre ce qu’il s’est passé dans le train en dépit des ordres de ses supérieurs et alors même que l’enquête a été menée à son terme, sans conclusion satisfaisante selon lui. Pour rappel, dans la réalité, le meurtre de Florence Nightingale Shore est resté irrésolu. Louisa de son côté va réussir à se faire embaucher comme gouvernante des enfants Mitford et le lien avec l’infirmière assassinée se fait par la cuisinière de la maison dont la sœur était en relation avec elle.

Ce fait divers et le lien double le rattachant à la maison Mitford (via la cuisinière et via Louisa) va exciter l’imagination déjà très fertile de Nancy, l’aînée de la fratrie, jeune fille de seize ans particulièrement vive d’esprit mais également assez frivole. Elle se prend au jeu de l’enquête et cherche à comprendre ce qu’il s’est passé, avec l’aide de Louisa qui est devenue entre temps sa confidente. Les deux jeunes femmes, aidées de Guy qui a succombé au charme de Louisa, vont peu à peu dénouer les nœuds de l’enquête et la résoudre officieusement.

La vivacité de Louisa et Nancy, l’intelligence timide de Guy ainsi que la complexité du principal suspect sont pour beaucoup dans la réussite de ce premier roman, qui pose les bases de la série. Nous entrons dans un univers assez dense et sombre, où les intrigues sont plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord et où les personnages sont attachants.

Quelques invraisemblances et une fin un peu facile

Le seul élément à déplorer dans ce roman concerne les quelques invraisemblances et facilités que se permet l’autrice tout au long de son récit. On citera notamment la résolution on ne peut plus légère, en tous cas à mes yeux, de la situation entre Louisa et son oncle. Celui-ci est donc un homme violent, qui parasite la vie de sa belle-soeur et de sa nièce, les bat, les vole et prévoyait de prostituer Louisa pour régler ses dettes de jeu. Lorsqu’elle réussit à s’enfuir et à se faire embaucher chez les Mitford, elle doit couper les ponts avec sa mère pour qu’il ne la retrouve pas mais elle finit quand même par craquer et il arrive à savoir où elle habite. Il décide donc de s’installer dans le village à côté de la demeure de campagne des Mitford, ce qui terrifie Louisa qui craint que la réputation de son oncle ne vienne ternir la vie qu’elle s’est reconstruite. Cette situation qui semble donc inextricable est en fait résolue par le principal suspect dans l’enquête menée par Louisa et Nancy, qui ira simplement « discuter » avec l’oncle, sans que l’on connaisse la teneur de leur discussion, et cela suffira pour que l’oncle décide de laisser tranquille nièce et belle-sœur pour s’engager dans l’armée… Pourquoi pas? Mais c’est un peu court pour moi!

L’arrivée de Louisa dans la famille Mitford est également assez peu crédible puisqu’elle rate, à cause de son oncle, son premier entretien d’embauche pour la famille. Elle se présente malgré tout à leur demeure de campagne avec un jour de retard, sans affaires et après avoir marché plusieurs heures. Bien qu’elle ait rencontré au préalable Nancy grâce à une de ses amies qui la lui a présentée et que cette amie l’a recommandée auprès des Mitford, il paraît néanmoins peu crédible que Louisa ait pu être recrutée aussi « facilement » en se présentant de façon aussi cavalière. L’urgence d’un recrutement pour gérer les enfants peut justifier son engagement mais dans la haute société anglaise de l’Entre-deux-Guerres, il fallait quand même un peu plus de recommandations.

Enfin, le dénouement est assez facile (je n’insiste pas dessus pour ne pas spoiler).

Ceci étant dit, ces invraisemblances et facilités n’ôtent rien à la qualité du récit et contribuent même à lui donner un petit côté suranné très plaisant! J’ai donc hâte de me plonger dans la suite des enquêtes des sœurs Mitford et de lire leur biographie!

N’hésitez pas à me dire en commentaires si vous avez lu cette série et si elle vous a inspiré le même ressenti que moi!

« Ladies with Guns », d’Anlor et Olivier Bocquet

Présentation de l’œuvre

Titre : Ladies with guns

Auteurs : Anlor (dessinatrice), Olivier Bocquet (scénariste), Elvire De Cock (coloriste)

Éditeur : Dargaud

Parution : 14 janvier 2022

Statut : Premier volume d’une série sur laquelle on sait pour l’instant peu de chose.

EAN/ISBN : 9782205087338

Résumé : L’Ouest sauvage n’est pas tendre avec les femmes… Une esclave en fuite, une indienne isolée de sa tribu massacrée, une veuve bourgeoise, une fille de joie et une irlandaise d’une soixantaine d’années réunies par la force des choses. Des hommes qui veulent les maintenir en cage. Des femmes qui décident d’en découdre, et ça va faire mal. Ladies with guns est l’histoire de la rencontre improbable entre des femmes hors du commun refusant d’être des victimes. Un western iconoclaste et jubilatoire où rien ne vous sera épargné.

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire Ladies with guns?

J’ai tout simplement craqué sur le thème et la couverture! Quand j’ai vu les premiers posts sur Instagram de Dargaud qui le présentait comme un western au féminin, j’ai su qu’il me le fallait, d’autant plus que le graphisme correspond tout à fait à ce que j’aime en bande-dessinée : un dessin travaillé, le souci du détail et des couleurs chaudes.

Je n’étais cependant pas certaine que l’histoire me plairait et souhaitais donc la lire avant tout achat que j’aurai pu regretter après. Il se trouve que j’ai eu la chance à ce moment-là de pouvoir l’emprunter dans le cadre de mon CDD de libraire en janvier/février, ce qui me permet pour l’instant de remettre mon achat à plus tard, soit très exactement à la date de sortie du second volet!

Mon avis sur Ladies with guns

Sans égaler le dernier tome de Blacksad que j’ai lu en même temps, Ladies with guns est une bande-dessinée qui se défend très bien sur plusieurs plans, et un peu moins bien sur d’autres.

Visuellement, elle est difficile à décrire car le dessin est à la fois beau et repoussant. Je m’explique. Il y a dans le coup de crayon d’Anlor sur cette BD deux dimensions : la globale/macro et la particulière/micro. Le visuel général des planches est beau mais vous ressentez toujours comme un parasitage, un petit quelque chose qui dérange votre œil, un infime détail perturbant. Ce détail, vous le repérez en zoomant dans les cases de la page dont au moins une contient un élément bizarre, que ce soit dans les traits des personnages, le choix d’une couleur pour un décor ou un objet qui n’est pas à sa place. J’ai mis un peu de temps avant de repérer ces éléments « perturbateurs » que je suis peut-être la seule à ressentir comme tels, mais au bout d’une dizaine de pages, je n’y prêtais plus attention, étant happée par l’histoire qui est assortie à ce dessin bien particulier.

On pourrait s’imaginer à lire le résumé que Ladies with guns va être une énième histoire voguant sur la mode de la réécriture féministe d’univers jusque-là très masculins, le western dans le cas présent. Rien n’est moins vrai! L’important ici est que les cinq héroïnes sont soit issues de minorités, soit ne se conforment pas aux règles établies. Leur statut de femmes est « seulement » un facteur aggravant. Kathleen, la bourgeoise anglaise, perd son mari durant leur périple à travers l’Ouest américain pour rejoindre leur mine d’or mais elle refuse de se laisser intimider par les hommes qui l’accompagnent. Elle se procure une arme et n’hésite pas à s’en servir. Daisy est l’institutrice irlandaise retraitée d’une petite ville perdue dans l’Ouest américain. Crainte par le shérif et par les hommes en général, sa façon de vivre en recluse, sans mari ni enfants, dérange, d’autant qu’elle ne s’en laisse pas compter. Abigail, la jeune esclave noire, a été violée, battue puis vendue car elle s’est moquée de son maître lorsqu’il a voulu la prendre. Elle réussit malgré tout à se débarrasser de ses geôliers et à se cacher dans la forêt, dans sa cage fermée toutefois. Chumani l’Indienne, redoutable tireuse à l’arc, veut se venger de Kathleen qui a tué son frère, et des Blancs en général qui ont massacré sa tribu. Enfin, Cassie, la « pourvoyeuse de plaisirs » noire et cynique, garde encore une bonne part d’ombre mais révèle qu’elle s’est enfuie du bordel où elle travaillait pour échapper à sa condition de femme exploitée.

Ces cinq femmes n’ont donc pas grand chose en commun à part… leur statut de femme justement. Elles n’auraient jamais eu l’occasion de se retrouver sans le scénario d’Olivier Bocquet qui les fait se rencontrer dans des conditions assez délirantes, notamment dans les premières planches où Abigail, la jeune esclave enfermée dans sa cage, calme Kathleen et Chumani, sur le point de s’entretuer. Les trois femmes vont finir par s’entraider et trouvent refuge chez Daisy puis Cassie s’ajoutera dans l’équation un peu plus tard, grâce à la magie d’une couverture sur un chariot. Cependant, les conditions de leur rencontre pèsent finalement peu par rapport aux questions que soulèvent chacune de leurs histoires personnelles. L’esclavagisme pour Abigail, l’extermination des Indiens pour Chumani, la prostitution pour Cassie, la condition de la femme seule et étrangère dans l’Ouest américain, qu’elle soit veuve comme Kathleen ou vieille fille comme Daisy : tous ces thèmes apparaissent en filigrane par flashbacks et démystifient la conquête de l’Ouest telle qu’on la connaît, en en montrant les aspects plus déplaisants et sombres. Ladies with guns n’est pas seulement un western féministe, c’est aussi l’histoire de la conquête de l’Ouest et celle de l’Amérique montrée sous un jour moins glorieux mais plus réaliste.

Si on retrouve bien tous les codes du western dans Ladies with guns, avec une attaque de chariots de pionniers par des Indiens ou des cow-boys fatigués jouant aux cartes dans un saloon sous les yeux d’une mère maquerelle blasée, ils sont ici tournés en ridicule par le scénariste qui en joue pour valoriser ses héroïnes. Les hommes en prennent pour leur grade car pas un n’a de qualités : ils sont couards, faibles, vicieux, idiots ou méchants. Le shérif est ainsi un jeunot pas très doué et vraiment pas courageux, terrorisé par Daisy qui a été son institutrice ; l’épicier est aussi aimable qu’une porte de prison et les hommes de main sont globalement peu malins. Tous ont en commun de se sentir effrayés par ces cinq femmes qui ne jouent pas selon les règles habituelles. Elles ne rentrent pas dans les cases prévues pour elles donc il faut leur faire comprendre, par la violence tant qu’à faire, le rôle de femmes dociles à leur service qu’elles doivent tenir. Sauf que la réaction des hommes est disproportionnée par rapport à la gravité de ce qui leur est reproché et les femmes elles-mêmes n’avaient pas prévu cette escalade. La BD se termine sur une scène à couteaux tirés d’anthologie qui occupe bien une dizaine de pages, où Anlor se fait plaisir et nous plonge dans la bataille visuellement en déstructurant les cases habituelles de la BD. La fin du volume propose une ouverture appelant clairement une suite, les fameuses affiches « Wanted » étant placardées pour chacune de nos cinq héroïnes.

Conclusion – Une très bonne bande-dessinée mais il manque un petit truc.

J’ai passé un excellent moment avec les personnages et l’univers créés par Anlor et Olivier Bocquet mais il manque à mes yeux ce petit quelque chose qui aurait fait basculer Ladies with guns de très bonne bande-dessinée à coup de cœur. Pour moi, les personnages sont peut-être un peu trop caricaturaux et le récit manquait un peu de profondeur au niveau de ses héroïnes dont toutes les histoires ne sont pas exposées mais comme un volume 2 est probablement en route, je réserve mon avis définitif sur la série pour le jour où la suite sortira!

En attendant, si vous aimez les westerns et les surprises, je ne peux que vous conseiller la lecture de cette BD graphiquement originale, au scénario surprenant mais cohérent malgré tout et qui sort des sentiers battus!

« BlackSad 6 – alors tout tombe – Première partie », de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido

Présentation de l’œuvre

Titre : Blacksad 6 : Alors tout tombe – Première partie.

Auteurs : Juan Diaz Canales (scénariste) et Juanjo Guarnido (dessinateur)

Éditeur : Dargaud

Parution : 1er octobre 2021

Statut : Sixième volume de la série Blacksad, bande-dessinée espagnole qui met en scène des animaux anthropomorphes dont le héros, John Blacksad, est un chat détective privé. Il paraît presque 8 ans après le précédent tome et sera suivi d’un deuxième volet dont la parution est prévue en 2023.

EAN/ISBN : 9782205078046

Résumé : Chargé de protéger le président d’un syndicat infiltré par la mafia à New York, John Blacksad va mener une enquête qui s’avèrera particulièrement délicate… et riche en surprises. Dans cette histoire pour la première fois conçue en deux albums, nous découvrons à la fois le quotidien des travailleurs chargés de la construction du métro dans les entrailles de la ville, mais également la pègre et le milieu du théâtre, contraste absolu entre l’ombre et la lumière, le monde d’en bas et celui d’en haut incarné par l’ambitieux Solomon, maître bâtisseur de New York. Le grand retour de la série star de la bande dessinée !

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire BlackSad 6?

J’ai découvert cette série il y a deux ans chez ma meilleure amie qui possédait tous les volumes. Ne m’y étant jamais intéressée, je ne savais pas trop de quoi elle parlait : je me suis donc lancée sans à-priori et quelle surprise! J’ai été happée à la fois par les scénarii très travaillés, la finesse du dessin et la beauté des couleurs. Cependant, comme je manque de place chez moi pour stocker des BD et que la série avait l’air à l’époque gelée, je ne me suis pas précipitée pour l’acheter, au point que je ne l’avais toujours pas chez moi lorsque la parution du tome 6 a été annoncée. Heureusement, j’ai pu emprunter tous les volumes en médiathèque en octobre dernier afin de me rafraîchir la mémoire, en prévision de la lecture du nouveau tome qui sortait en novembre. J’avais décidé que selon mon ressenti à la lecture de celui-ci, j’achèterai ou pas la série ensuite. J’ai profité de mon CDD de libraire en janvier 2022 pour emprunter le volume 6 et clairement, il a fait pencher la balance en faveur d’un achat complet de la série à terme!

Petite rétrospective de la série.

Pour celleux qui ne connaissent pas, Blacksad est une bande dessinée mettant en scène des animaux anthropomorphes dans l’Amérique sombre de la fin des années 1950. Elle tient son nom de son héros, John Blacksad, un chat de gouttière détective privé taiseux, solitaire et désabusé, qui joue autant de ses poings que de son charme pour avancer dans ses enquêtes.

Le premier tome, Quelque part entre les ombres, est sorti en 2000 et a connu un succès public et critique immédiat avec son scénario de vengeance et d’amour perdu présentant tous les codes du polar noir, avec un John Blacksad qui enquête sur le meurtre de son premier amour, Natalia Wilford. Les deux créateurs, Juanjo Guarnido et Juan Diaz Canales, peaufinent leur création dans des suites qui paraissent à intervalles plus ou moins réguliers et traitent des thèmes politiques et sociaux qui ont réellement secoué l’Amérique des années 1950-1960. On trouve ainsi abordés le racisme dans Arctic Nation (2002) ainsi que le maccarthysme et la chasse aux communistes dans Âme rouge (2005). Les deux tomes suivants, L’enfer, le silence (2010) et Amarillo (2013), se déroulent à La Nouvelle-Orléans et sont plus axés sur la culture américaine. Le premier fait enquêter John Backsad dans le milieu du jazz et des drogues dures où il doit retrouver la trace d’un pianiste très connu en son temps, Sebastian « Little hand » Fletcher. Le deuxième se penche sur la « Beat generation« , mouvement artistique et littéraire représenté par Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William S.Burroughs, représentés sous formes animales par Guarnido.

Il faudra attendre huit années pour que les deux créateurs, pris par leurs autres projets (les illustrations des Indes fourbes et le clip Freak of the Week du groupe suédois Freak Kitchen pour Guarnido, la résurrection de Corto Maltese dans trois albums et la création ses propres BD Au fil de l’eau et Gentlemind pour Diaz Canales), se retrouvent enfin autour de Blacksad! Pour le retour du chat détective privé, ils ont imaginé une aventure en deux parties autour de l’urbanisation galopante du New York des années 1950, qui s’opérait au détriment des transports en commun. Les figures de Jimmy Hoffa, célèbre représentant du syndicat des camionneurs dans les années 1950, et Robert Moses, urbaniste controversé de la Grosse Pomme de la même époque, ont directement inspiré deux des personnages que l’on retrouve dans cette première partie de Alors tout tombe, dont la suite est prévue pour 2023.

Un retour aux sources

Bien que toujours d’excellente qualité graphique, le dernier tome de Blacksad paru jusque-là, Amarillo, est considéré comme le plus faible de la série. Il est vrai que l’action y est assez décousue et l’intrigue plutôt légère par rapport aux autres volumes, John devant simplement conduire une voiture d’un point A à un point B à la demande d’un riche texan, voiture qu’il se fait piquer dans une station service par deux écrivains beatniks qui finissent par s’affronter, l’un tuant l’autre. Ajoutez à cela que son comparse et faire-valoir, le journaliste Weekly, le quitte au début de l’histoire pour rentrer à New York alors que John reste à la Nouvelle Orléans avant de se lancer dans une sorte de road trip à travers quelques états américains pour retrouver la voiture et l’assassin et vous obtenez quelques clés qui peuvent expliquer cet avis négatif.

Rien de tout cela dans Alors tout tombe. John est de retour à New York, où on le voit apprécier une pièce de théâtre en plein air avec Weekly au début du volume, dans des planches absolument sublimes. L’histoire mêle habilement plusieurs intrigues concernant le milieu du théâtre, celui des ouvriers du métro et de leur syndicat ainsi que les hautes sphères politiques de la ville favorables à une urbanisation galopante au nom du progrès et au détriment des transports en commun. L’univers sombre, les machinations politiques, les meurtres sont de retour aussi, de même que les réflexions en filigrane sur la société américaine de l’époque, transfigurée par le zoomorphisme cher à Guarnido.

Enfin, la chute de ce sixième volume est à la fois un appel du pied pour la suite et un immense cliffhanger pour les fans de la première heure mais je ne peux décemment pas vous en dire plus ici, le spoiler serait beaucoup trop énorme! Cela vous fera donc un premier prétexte pour vous procurer cette BD et la dévorer. Car oui, le scénario et sa chute ne sont que les premiers éléments qui vont vous faire craquer et foncer lire ce tome en urgence!

Un graphisme spectaculaire

Le coup de crayon de Juanjo Guarnido sur Blacksad s’est affiné avec le temps et plusieurs de ses planches sont d’une beauté à couper le souffle, quel que soit le volume considéré. Ayant travaillé pendant plusieurs années dans l’animation pour les studios Disney, il en a gardé un certain nombre de caractéristiques qui ont directement influencé la construction et le graphisme de l’univers de Blacksad. Zoomorphisme, perspectives, musculatures, mouvements des corps, choix des couleurs, détails aquarellés, précision des visages, richesse du bestiaire : l’immense talent de Guarnido s’exprime dans sa pleine mesure et vient sublimer les scénarii et les personnages de Diaz Canales dans un accord parfait. Blacksad n’est pas juste une bande-dessinée mettant en scène un chat humanisé dans une Amérique réinventée : c’est une œuvre d’art perpétuelle qui confirme le statut de neuvième art octroyé à la BD.

Dans Alors tout tombe, le talent de Guarnido explose encore et atteint un degré de sublime vertigineux. Toutes les planches sans exception sont de purs bijoux de graphisme, notamment celles qui prennent une pleine page et il y en a quelques unes. La planche où John Blacksad, en bras de chemise et infiltré parmi les ouvriers du métro, porte des barres de fer est un vrai chef d’œuvre visuel. Le choix des couleurs, le détail et la finesse des traits, les jeux d’ombre, tout est travaillé avec minutie mais aucun dessin n’est froid ou clinique : vous ressentez en voyant les planches et les cases l’atmosphère poisseuse du métro, les tensions, la peur, la mégalomanie des uns et la détresse des autres.

Je suis pour ma part très sensible à ce type de graphisme, fourmillant de mille et un détails, coloré, vivant. L’extrait que vous voyez ci-dessous est l’un de ceux qui m’ont le plus marquée par la richesse des jeux d’ombre et le passage en quelques cases d’un monde très coloré à un univers bicolore, le tout sans que cela ne choque l’œil car l’histoire suit. John passe de la lumière et l’agitation du progrès (la ville, ses gratte-ciel, la manifestation) à l’obscurité et au calme relatif des tunnels du métro.

Planche extraite de Blacksad tome 6, Alors tout tombe, première partie, de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido – Dargaud, 2021.

DEs personnages complexifiés

Si l’on sait peu de choses sur John Blacksad à travers les volumes de la série, son côté énigmatique et taiseux lui apporte une profondeur qui est encore renforcée par le contraste qu’il offre avec Weekly, la fouine journaliste qui lui sert de comparse et faire-valoir. Et c’est ce personnage jusque-là peu exploité qui prend une nouvelle dimension dans Alors tout tombe. Pour commencer, on le voit enfin évoluer seul, sans John à ses côtés pour justifier sa présence. Il est également représenté sur son lieu de travail, chose rare, voire inexistante, et n’est plus seulement là pour faire rire. Il a même quelques scènes très sérieuses. Enfin, il est accompagné d’une jeune femme, journaliste indépendante, qui va lui faire reconsidérer son métier.

Son travail de journaliste est en effet remis en question sur deux fronts : par le nouveau patron de son journal à sensation qui veut des articles plus fouillés, et par cette jeune femme qui a une approche beaucoup plus littéraire du métier. Cela l’amène à se questionner et à s’engager dans une voie journalistique qui ne semble pas lui convenir. Il est donc très intéressant de voir le comparse de John prendre enfin un peu d’épaisseur et devenir plus qu’un faire-valoir rigolo.

La galerie des personnages secondaires est également d’une richesse impressionnante. De la directrice de la compagnie de théâtre au président du syndicat des ouvriers du métro en passant par Solomon, le faucon qui dirige les opérations d’urbanisme de New York, tous sont finement ciselés, que ce soit sur le plan graphique ou psychologique. Comme toujours dans cette série, le zoomorphisme est adapté aux caractéristiques des personnages : un journaliste (la fouine Weekly), un détective qui s’attire toujours des ennuis (le chat noir Blacksad), un ambitieux (le faucon Solomon), une directrice de théâtre qui ne se laisse pas faire (un lama)… Les parallèles sont intéressants!

Enfin, sans dévoiler quoi que ce soit, je peux au moins vous dire que le cliffhanger final repose sur un personnage important de la série et qu’il mérite à lui seul la (re)lecture de toute la saga!

Conclusion – Peut-être le meilleur Blacksad à ce jour!

Je conclurai cet article en vous disant que ce nouvel opus de Blacksad est largement à la hauteur des huit ans d’attente! Le duo Diaz Canales – Guarnido est revenu avec ce qui est à mes yeux pour l’instant le meilleur volume de Blacksad, tant graphiquement que scénaristiquement. Les personnages, les planches, les intrigues, tout est parfait… ou presque : il manque encore Alors tout tombe – Deuxième partie! Vivement 2023!

Si vous n’avez jamais lu cette bande-dessinée et que vous aimez les ambiances polars, je ne peux que vous recommander de découvrir cette série atypique qui est aussi un pur régal pour les yeux.

« L’île du Diable », de Nicolas Beuglet (série Sarah Geringën, tome 3)

Présentation de l’œuvre

Titre : L’île du Diable

Auteur : Nicolas Beuglet

Éditeur : Pocket

Parution : 3 septembre 2020

Statut : Troisième tome de la trilogie construite autour de l’inspectrice norvégienne Sarah Geringën après Le cri et Complot.

EAN/ISBN : 9782266307598

Résumé : Le corps recouvert d’une étrange poudre blanche, des extrémités gangrenées et un visage figé dans un rictus de douleur… En observant le cadavre de son père, Sarah Geringën est saisie d’épouvante. Et quand le médecin légiste lui tend la clé retrouvée au fond de son estomac, l’effroi la paralyse. Et si son père n’était pas l’homme qu’il prétendait être ? Des forêts obscures de Norvège aux plaines glaciales de Sibérie, l’ex-inspectrice des forces spéciales s’apprête à affronter un secret de famille terrifiant. Que découvrira-t-elle dans ce vieux manoir perdu dans les bois ? Osera-t-elle se rendre jusqu’à l’île du Diable ?

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire L’île du diable?

Tout est parti de ma découverte du premier volet de la trilogie, Le Cri, que j’ai lu en octobre 2021, avant de me lancer sur Bookstagram et de commencer ce blog. Cette lecture a été un tel plaisir que j’avais décidé de lire les autres tomes. Il se trouve que quelques jours après avoir créé mon compte sur Instagram, j’ai discuté avec Aurélie qui avait elle aussi lu Le Cri, avait adoré et voulait enchaîner avec la suite! Nous nous sommes donc lancées toutes les deux dans un premier temps, et nous avions prévu la lecture de Complot, le volume 2, en décembre 2021. Quelques comptes se sont ajoutés aux nôtres et la lecture a été grandement appréciée, au point que j’ai lancé l’idée de lire L’île du diable en janvier 2022, pour boucler la trilogie. Et voilà!

Petit aperçu de la saga Sarah Geringën

Comme vous l’avez lu plus haut, j’ai déjà lu Le cri et Complot sur 2021. Comme je n’ai commencé ce blog qu’en 2022, je ne pense pas les chroniquer en détail ici donc je vous propose un petit retour sur ces deux premiers opus magistraux.

Le cri nous met en présence de l’inspectrice norvégienne Sarah Geringën qui enquête sur le décès suspect du patient 488 d’un hôpital psychiatrique, figé dans la mort avec un cri de peur primale aux lèvres. S’ensuit un compte à rebours haletant durant lequel Sarah va découvrir la vérité sur la vie après la mort.

Complot ne prend pas la suite directe de l’intrigue du Cri. On retrouve Sarah, installée en Norvège avec Christopher et son fils Simon, qu’elle a rencontrés lors de l’enquête précédente. Elle est appelée sur une scène de crime particulière, un archipel isolé au nord de la Norvège où le corps de la victime, qui n’est autre que la Première ministre du pays, présente des blessures symboliques mystérieuses. Sarah pressent que ce meurtre n’est que le premier d’une série mais elle est systématiquement devancée dans son enquête, comme si quelqu’un lisait dans ses pensées. Le complot qu’elle mettra à jour lui coûtera cher…

Que vous lisiez Le Cri ou Complot, vous en prendrez plein les yeux : ces deux romans sont de vrais page-turners. Les intrigues sont extrêmement bien construites et profondes, avec pour les mener deux personnages qui se complètent bien. Sarah est une inspectrice accomplie, ancienne membre des forces spéciales, belle, distante, professionnelle et parfois glaçante et glaciale dans sa façon d’être. Cet aspect de sa personnalité est atténué par la présence de Christopher, journaliste français beaucoup plus humain et spontané. Ces deux héros se rencontrent et leur couple fonctionne, ce qui rend Sarah plus attachante.

Au niveau des intrigues, les deux sont excellentes mais celle de Complot m’a particulièrement assommée car basée sur des recherches précises et fouillées de l’auteur qui nous fournit sa documentation en fin d’ouvrage. Il y a donc une part de réalité indéniable qui rend cette lecture encore plus marquante et donne envie de se renseigner davantage sur les proportions réelles du complot révélé par Sarah. Je n’en révèle pas plus ici car je devrais alors vous dévoiler le cœur de l’intrigue mais sachez que de l’archéogénétique entre dans la composition du récit.

Pour résumer, j’ai plus qu’adoré Le Cri et Complot : j’ai été happée, fascinée, époustouflée! Le très haut niveau d’excellence du Cri a été encore élevé de plusieurs crans avec Complot pour le plus grand bonheur de la lectrice avide de polars que je suis. J’ai donc inscrit Nicolas Beuglet dans mon Panthéon des auteurs français à suivre, au même titre que Bernard Minier, Jean-Christophe Grangé et Henri Loevensbruck (découverte récente lui aussi mais j’y reviendrai plus tard).

Mon avis sur l’île du diable

Après ces deux excellents premiers tomes et surtout Complot qui a été une claque phénoménale, l’attente était donc importante concernant L’île du Diable. Et force est de constater que malheureusement, le compte n’y est pas.

Pour commencer, même si on dit toujours que la quantité ne fait pas la qualité, L’île du Diable dépasse à peine les 300 pages quand les deux autres tomes en font plus de 550. On est donc clairement sur une histoire qui sera moins développée ou à défaut, plus intense et ramassée. J’ai ressenti de plus une certaine gêne chez l’auteur, comme s’il ne savait pas trop quoi faire de Sarah Geringën après Complot, ce qui est tout à fait normal au vu de la densité de ce roman et du précédent. Pour ne rien vous cacher, j’ai déjà plus ou moins oublié ce qu’il se passe dans le troisième opus, que je mélange dans mon esprit avec le deuxième. Comment expliquer ce phénomène d’oubli et de confusion? Si je devais émettre des hypothèses, je dirais que trois éléments sont en cause.

Le premier est la densité scénaristique des deux premiers tomes. Le Cri est mené tambour battant, les actions s’enchaînent, on n’a pas le temps de se remettre de la chute d’une péripétie qu’une nouvelle prend la suite, et ce jusqu’à la fin du roman, sans temps mort. On retrouve ce rythme haletant dans Complot avec en supplément une densité d’informations technico-scientifiques liées au complot déjoué par Sarah. L’ensemble fait que notre cerveau fonctionne à plein régime pour analyser les données transmises, nous laissant totalement abasourdis au moment de la révélation finale car oui, notre cerveau a fait le cheminement mais n’a pas vu la conclusion arriver et elle est à la fois évidente et choquante. Or, l’intrigue de L’île du diable est en comparaison très classique et souffre donc d’arriver à la fin de la trilogie. Le rythme qui était fluide et rapide dans les deux premiers tomes est ici cassé par des scènes qui semblent posées un peu au hasard, sans lien entre elles. C’est comme si l’auteur avait commencé un puzzle, assemblé le contour et les éléments du centre mais renoncé à relier le tout par manque d’envie ou de temps. On distingue donc le schéma de l’histoire mais il nous manque les détails de liaison qui assurent le rendu définitif. Le potentiel de ce roman m’est ainsi apparu comme un peu gâché.

Le deuxième élément est lié à l’intrigue dont les origines, la mise en place et la résolution manquent à mes yeux de crédibilité et de réalisme. Elle porte de plus des questionnements éthiques et moraux qui sont évacués un peu rapidement à mon goût. Les enfants peuvent-ils/doivent-ils être rendus responsables des actions de leurs parents et grands-parents? Peut-on excuser certains actes lorsqu’ils sont commis en vue d’assurer la survie d’un groupe? La vengeance permet-elle l’expiation des crimes commis? La gravité des crimes commis peut-elle excuser n’importe quel acte de vengeance? Où s’arrête l’escalade dans la vengeance? La haine peut-elle survivre à la mort? Le méchant de l’histoire, son discours, ce qu’il a mis en place sur l’île du Diable, tout est à mes yeux très discutable et pas forcément excusable. Le fait que tous ces points ne soient pas vraiment débattus renforce encore plus mon sentiment de gâchis de potentiel.

Enfin, le troisième élément qui, selon moi, peut expliquer mon « désamour » concerne les personnages, principaux comme secondaires. L’intrigue est organisée autour du père de Sarah, sur lequel l’accent n’a pas été spécifiquement mis dans les volumes précédents, la famille de Sarah étant juste une ombre en arrière-plan, utile pour gérer Simon (le fils adoptif de Christopher) et sans histoire. Que ce personnage transparent meure dans des conditions plus qu’horribles pour expier un « crime » dicté par des circonstances extérieures sur lesquelles ni lui ni personne n’avait de prise à l’époque est assez tiré par les cheveux pour moi, d’autant que le ressort a déjà été utilisé dans la trilogie (mini spoil, je m’arrête là!). Il se trouve aussi que même s’il constitue le nœud de l’intrigue, le focus n’est pas mis sur le père de Sarah ce qui a eu pour effet sur moi de le laisser sans consistance. Je m’explique. Tout ce qui lui arrive dans son enfance est raconté à travers les yeux de tierces personnes qui ne l’ont pas connu ou pas compris : sa fille, le méchant, sa femme. De plus, ces intervenants l’évoquent très vite, surtout sa femme et ce malgré plusieurs années de vie commune. J’ai donc eu l’impression tout au long du roman qu’on s’efforçait de faire vivre un bonhomme en papier, littéralement. Pour couronner le tout, on apprend finalement très peu de choses sur la vie qu’il a eue, ce qui a maintenu chez moi cette sensation de personnage creux auquel l’auteur colle des actions parce que cela aide à faire avancer l’intrigue.

L’autre élément qui n’aide pas à donner corps à ce personnage, c’est… sa fille Sarah, l’héroïne de la trilogie. Elle est monolithique, froide, inhumaine : rien ne l’atteint, rien ne peut la vaincre. Ce côté invincible était déjà flagrant dans les autres volumes mais la présence de Christopher, plus vulnérable et spontané, rejaillissait sur elle et la rendait moins effrayante. Christopher étant beaucoup moins visible dans L’île du Diable, son côté « wonderwoman invincible » ressort. Trop. On dirait un robot! Elle survit tout de même aux évènements traumatisants de trois romans sans séquelles psychologiques ou physiques et elle analyse cliniquement l’assassinat de son père, tué au moment de sa sortie de prison, comme si c’était un meurtre classique. La fin du roman n’aide pas à la considérer comme humaine… peut-être ne l’est-elle pas vraiment ou a-t-elle une dimension légèrement sociopathe qui m’a échappé?

Conclusion – Le livre de trop

L’île du diable souffre clairement d’être passé après les deux monuments de suspense et de complexité scénaristique que sont Le Cri et Complot. J’ai ressenti une gêne chez l’auteur, comme s’il ne savait pas trop quoi faire d’une héroïne dont il avait fait le tour ni comment finir cette histoire. Il est d’ailleurs ensuite passé à une nouvelle série avec une autre inspectrice, Grace Campbell, dans Le dernier message.

Comme pour Matrix que je considère comme un one-shot (les 2, 3 et 4 n’existent pas dans ma matrice), cela ne me dérange pas d’envisager la saga Sarah Geringën comme une duologie. Certes, l’inspectrice est en mauvaise posture à la fin de Complot mais toutes les histoires n’ont pas à finir bien, même si cela aurait provoqué une attente phénoménale qu’il aurait été encore plus difficile de combler. J’ai donc parfaitement conscience que la conclusion de cette trilogie était de toute façon compliquée à trouver.

Au final, même si L’île du Diable est une déception pour moi, il n’enlève rien à la qualité des deux premiers opus de la série et au talent de Nicolas Beuglet dont j’ai bien l’intention de continuer à lire les romans!

« Une saison à la petite boulangerie », de Jenny Colgan (La petite boulangerie tome 2)

Présentation de l’œuvre

Titre : Une saison à la petite boulangerie

Autrice : Jenny Colgan

Édition : Pocket

Parution : 6 avril 2017

Statut : Deuxième volet d’une trilogie organisée autour du personnage de Polly Waterford, une jeune citadine qui décide de s’exiler sur une île isolée et découvre que sa passion pour le pain peut devenir son mode de vie. Le premier tome est intitulé La petite boulangerie du bout du monde et le troisième Noël à la petite boulangerie.

EAN/ISBN : 9782266273145

Résumé : Polly Waterford coule des jours heureux sur la paisible île de Mount Polbearne. Sa petite boulangerie connaît un franc succès : les habitants du village continuent de s’y presser et un journal régional souhaite même la sélectionner dans son prochain guide ! Polly est aussi comblée par son histoire d’amour avec Huckle, le séduisant Américain qui a su conquérir son cœur. Les deux amoureux se sont installés ensemble dans le grand phare qui domine l’océan. Malheureusement, lorsque le nouveau propriétaire de la boulangerie de Polly débarque sur l’île avec une lueur malicieuse au fond des yeux, celle-ci réalise soudain que son bonheur est bien fragile. Et le départ précipité de Huckle pour les États-Unis ne l’aide guère à envisager l’avenir avec sérénité. Face à cette nouvelle tempête qui se prépare, Polly va devoir se battre pour ne pas laisser sa vie prendre l’eau. Réussira-t-elle à surmonter les obstacles qui se dressent sur sa route ?

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire Une saison à la petite boulangerie?

En étant parfaitement honnête, je dois bien avouer que les romans feel-good comme celui de Jenny Colgan ne sont pas ma tasse de thé. D’une manière générale, je n’aime pas les histoires trop lisses, trop romancées, trop « tout le monde est gentil ». J’ai besoin qu’un récit me tienne en haleine, qu’il y ait de vrais rebondissements, de l’action, du réalisme bref beaucoup de choses qui ne figurent pas toujours dans les feel-good. Cependant, un ensemble d’éléments ont fait qu’Une saison à la petite boulangerie a croisé ma route et que la cohabitation s’est plutôt bien passée.

Pour commencer, je ne déteste pas foncièrement les romances : tout dépend de la façon dont elles sont écrites et des héroïnes. Quand j’étais adolescente, j’empruntais à la bibliothèque municipale de mon village les romans d’Alexandra Ripley dont certains m’ont laissé une impression si forte qu’une fois adulte, je me les suis procuré (Scarlett, Pour tout l’or du Sud). C’est le cas également pour Les oiseaux se cachent pour mourir de Colleen McCullough et Dans un grand vent de fleurs de Janine Montupet. Tous ont en commun d’avoir des personnages féminins très forts et indépendants. Plus tard, j’ai découvert Katarina Bivald et sa Bibliothèque des cœurs cabossés, dont je ne me rappelle plus très bien mais que je garde précieusement car je sais que je l’ai aimé. Enfin, j’ai encore en attente de lecture les deux premiers Bridget Jones qui ont survécu à plusieurs déménagements et à mon énorme tri de livres de 2019 parce que j’ai bien aimé les films et que je veux arriver à lire les romans.

A ce contexte général se sont ajoutés mon humeur et mes objectifs du moment. J’ai en effet décidé en 2022 d’ouvrir davantage mes horizons littéraires en sortant de ma zone de confort polars/thrillers et d’explorer de nouveaux genres. Je voulais aussi savoir à quel endroit exactement placer mon curseur de goût pour les romans feel-good dont j’ai finalement lu très peu d’exemples jusqu’au bout. J’ai ainsi abandonné Demain est un autre jour de Lori Nelson Spielman ainsi que La charmante librairie des jours heureux, de Jenny Colgan (!) dont j’ai même possédé à une époque La petite boulangerie du bout du monde (le tome 1 de la présente lecture donc, oui, oui!) que je n’ai jamais ouvert et qui a été évacué sans pitié lors de mon tri de 2019.

Enfin, ce qui a fini de me décider était que ce roman était proposé en lecture commune par ma copine Ludivine du blog Les lectures du chatpitre et qu’il était disponible à ma médiathèque! L’avantage d’une lecture commune est que la présence du groupe peut nous aider à dépasser un blocage et ainsi finir un livre. Cela a été particulièrement vrai pour la LC précédente de Ludivine, le recueil 13 à table 2021 pour lequel tous les membres du groupe de lecture ont été déçues tant il était sombre et en décalage avec la thématique annoncée. Ludivine a donc proposé Une saison à la petite boulangerie pour contrebalancer ce mauvais ressenti car elle l’avait dans ses livres en attente, qu’il était facile de se le procurer et qu’il s’agissait d’une lecture légère!

Mon avis sur Une saison à la petite boulangerie

Honnêtement, c’était une lecture sympathique mais sans plus. Elle a pu profiter d’une certaine indulgence de ma part et d’un moment (très court) en janvier 2022 où mon humeur correspondait à ce type de roman. Je suis contente de l’avoir lu mais ce n’est clairement pas un coup de coeur! Suivez-moi, je vous explique.

Pour commencer, j’ai trouvé le roman long. Très long. Avec 483 pages, on commence à avoir un joli pavé livresque! Le problème est que sur ces presque 500 pages, on pouvait facilement en évacuer la moitié sans que le récit ne perde en cohérence. De nombreuses scènes n’ont pas d’utilité particulière, notamment toute la partie sur le revers de fortune des amis de Polly et Huckle. L’essentiel de l’action et du suspense se situent dans la seconde partie du roman, aux environs des 150è-200è pages. Il faut donc tenir jusque-là, d’où l’intérêt de la LC : celles qui comme moi étaient dubitatives ont été motivées par les autres membres du groupe! J’ai ainsi pu aller au-delà du début peu intéressant (pour moi) du livre et enfin entrer dans l’histoire. Je ne peux cependant que constater avoir lu d’autres romans bien plus courts mais beaucoup plus attrayants et captivants.

Le style de Jenny Colgan permet heureusement une lecture fluide. Elle écrit bien, sans que cela ne soit non plus phénoménal. Si je me suis ennuyée, c’est plus par manque d’action dans le récit : il se passe finalement peu de choses dans cette Saison à la petite boulangerie. En substance, tout va bien pour Polly au début du roman puis il se passe quelque chose qui fait que toute sa vie déraille et au final, tout s’arrange et redevient comme avant. On voit arriver les péripéties à des kilomètres, certaines sont exagérées pour leur donner une importance que même les personnages ne leur accorde pas (la perte de fortune des amis de Polly par exemple) et on sait d’avance que tout va finir par s’arranger.

Mais comment peut-on le savoir me direz-vous? Tout simplement parce que tout dans ce roman transpire la gentillesse et les bons sentiments, à l’exception bien sûr du méchant fils de la propriétaire, idiot, cupide, vindicatif et macho (oui, oui, tout ça en même temps!) et, dans une moindre mesure, de Dubose, le petit frère d’Huckle, volage et irresponsable. Au passage, vous relèverez l’originalité des prénoms donnés par l’autrice à ses personnages! Il y en a plein d’autres mais j’avoue les avoir déjà oubliés. Les ficelles du scénario sont énormes et prévisibles, des situations pourtant complexes ou présentées comme telles sont résolues en un claquement de doigts et d’autres sont tout simplement invraisemblables ou inutiles. Ainsi, on ne voit pas trop ce que vient faire à Polbearne la veuve de celui qui était l’amant de Polly dans le premier roman. Le méchant fils de la propriétaire finit par laisser la boulangerie à Polly après une histoire totalement invraisemblable de détournement d’argent pour l’achat d’une trompette et Flora, l’aide pâtissière de Polly au physique ingrat, se transforme en bombe lors d’une soirée sans que l’on sache trop comment cela est possible!

Le décor et les personnages sont également très caricaturaux, avec le joli petit village de carte postale sur la petite île isolée, Polly la gentille boulangère que tout le monde aime, Huckle le beau géant Américain généreux, son frère cadet volage et irresponsable, le méchant idiot et vindicatif, le riche couple d’amis flambeurs qui finit par perdre sa fortune, et j’en passe. J’ai trouvé Polly agaçante dans l’ensemble, à s’inquiéter puis à se plaindre et à subir sans rien dire les brimades du fils de la nouvelle propriétaire de la boulangerie. Huckle est très américain, à repartir dans son pays tel un chevalier servant pour à la fois aider sa belle-sœur enceinte tout en gagnant l’argent qui leur permettra à lui et Polly d’entretenir correctement leur phare. Le seul « personnage » que j’ai vraiment trouvé attachant est Neil le macareux, d’où la présence d’une peluche de macareux sur ma photo, souvenir de mon voyage en Islande :-)! Ce petit animal têtu est adopté par Polly et Huckle malgré le fait qu’il ne soit pas « domesticable » d’après le vétérinaire du village. C’est clairement par lui que passe le peu d’émotions que ce roman a pu me procurer et il est également l’auteur de la seule action réelle dans les 150-200 premières pages ennuyeuses que j’ai mentionnées plus haut.

Pour résumer mon ressenti, Une saison à la petite boulangerie est un feel good basique et caricatural, plutôt bien écrit même s’il y a des longueurs. Il m’a convenu au moment où je le lisais car je recherchais une lecture légère, sans prise de tête. Cependant, il ne me laissera pas un souvenir impérissable et je ne pense pas que ce soit le meilleure exemple de feel good qui existe. D’après les chroniques et commentaires que j’ai pu lire en préparant cet article, il semblerait même que le tome 1 de la saga soit nettement meilleur. Je vous laisse donc vous faire votre propre opinion et m’indiquer en commentaires ce que vous pensez de cette saga car je n’en lirai pas d’autres volumes!