« L’infini dans un roseau », d’Irene Vallejo

Présentation de l’œuvre

Titre : L’infini dans un roseau. L’invention des livres dans l’Antiquité.

Autrice : Irene Vallejo

Éditeur : Les Belles Lettres

Parution : 10 Septembre 2021

EAN/ISBN : 9782251452210

Résumé : Quand les livres ont-ils été inventés ? Comment ont-ils traversé les siècles pour se frayer une place dans nos librairies, nos bibliothèques, sur nos étagères ? Grâce à son formidable talent de conteuse, Irene Vallejo nous fait découvrir cette route parsemée d’inventions révolutionnaires et de tragédies dont les livres sont toujours ressortis plus forts et plus pérennes.

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire L’infini dans un roseau?

C’est au détour d’un voyage que ma rencontre coup de foudre avec L’infini dans un roseau a eu lieu. J’ai repéré cet essai en me baladant dans le Relay de l’aéroport de Lyon Saint Exupéry (je vis dans le lyonnais). Sa couverture atypique, blanche et épurée, a tout de suite attiré mon œil. Ses titre et sous-titre m’ont intriguée et son résumé a achevé de me conquérir.

Je ne l’ai pourtant pas acheté à ce moment-là, me disant que ce n’était pas mon style de prédilection, qu’il était quand même sacrément costaud (500 pages tout de même!) et que cet achat pouvait attendre. Sauf que… je me rendais à Bordeaux, ma ville natale, où se trouve ma Mecque livresque, la librairie Mollat, dans laquelle je me rends à chacune de mes incursions dans le bordelais. Et là, ce fut le drame… mais non, je plaisante!

Vous pensez, j’ai été plus que ravie de céder à ce que j’ai considéré comme un signe, un appel du pied de ce livre qui voulait que nous nous rencontrions et que nous restions ensemble! Je n’ai en effet même pas eu à le chercher : mes yeux se sont posés sur lui par hasard en entrant à Mollat alors que je me dirigeais vers mon rayon polar chouchou! Ni une, ni deux, je l’ai embarqué en passant.

C’est ainsi qu’a débuté ma relation avec ce qui est à ce jour le plus beau livre que j’ai jamais lu.

De la difficulté de chroniquer un livre qui vous a bouleversé

Ce livre est à ce jour le plus difficile que j’ai eu à chroniquer car tous les mots du monde ne rendront jamais la puissance du tsunami d’émotions que j’ai ressenti en le lisant.

C’est simple : je l’ai lu en janvier et je rédige ma chronique en août car je me suis suffisamment remise de ma lecture pour pouvoir vous en parler de façon plus objective et constructive. Si je l’avais chroniqué à chaud, je n’aurai pu vous dire que « il est génial, il est parfait, c’est un coup de foudre, lisez-le, achetez-le! », ce qui, soyons honnêtes, est un peu limité comme argumentaire! J’ai tendance à fuir ce type d’avis, ce n’est pas pour vous en donner un échantillon sur mon blog, surtout sur LE livre qui m’a marqué parmi tous ceux que j’ai lu depuis mon enfance, et croyez-moi, il y en a eu!

Enfin, une autre difficulté réside selon moi dans le fait que je trouve plus facile de développer une critique négative qu’une positive. Je ne sais pas si c’est le cas pour vous mais lorsque plusieurs éléments dans un livre ne me plaisent pas, je les repère vite car ils m’énervent en gâchant ma lecture. Je suis donc en mesure d’en dresser une liste qui justifie mon ressenti et ma chronique s’organise autour de ces points. Mais quand c’est le livre dans son ensemble qui vous a captivé, que vous n’arrivez pas à distinguer les ressorts qui ont fait que vous avez succombé, c’est beaucoup plus compliqué… Je sais maintenant un peu mieux ce qui m’a séduit dans L’infini dans un roseau mais une part majoritaire de l’attrait que ce livre a exercé sur moi relèvera toujours de la magie à mes yeux.

Ceci dit, trêve de blabla! Voyons de plus près ce qui a fait que L’infini dans un roseau est pour moi l’essai que toute personne amoureuse des livres doit avoir lu au moins une fois dans sa vie et se doit de posséder.

Irene Vallejo, Shéhérazade des penseurs et chercheurs du XIXè siècle.

C’est peut-être le premier élément magique de cet essai et il va être difficile à expliquer ! Irene Vallejo a en effet cette capacité extraordinaire à vous perdre sans vous perdre dans son récit. Elle part d’un point Z et vous entraîne via B et T à rejoindre le point A, cœur névralgique de son essai. Compliqué, n’est-ce pas?

Elle s’appuie sur un travail de recherche très poussé, étant elle-même chercheuse (elle a un doctorat en philologie classique). Cependant, jamais vous ne ressentez le côté rébarbatif que pourrait avoir un cours d’histoire ou un essai pontifiant. Lorsque vous attaquez un chapitre et que vous ne comprenez pas de prime abord le lien entre le thème abordé et le sujet du livre, comme par exemple dans l’introduction où elle décrit de mystérieux cavaliers sillonnant la Grèce, à chaque fois Irene Vallejo vous ramènera au sujet par une des circonvolutions dont elle a le secret. Quelle que soit la section de l’essai, vous reviendrez toujours à l’invention des livres et tout ce que vous avez lu jusque là et qui vous paraissait hors sujet trouvera sa justification et sa logique dans l’explication de parcours qu’elle donne. Tout est expliqué, rien n’est laissé au hasard mais vous avez pourtant cette impression de spontanéité dans le récit, comme si les idées lui étaient venues dans cet ordre naturellement. C’est brillant!

La construction intellectuelle est donc très fine et bien particulière et elle est magnifiée par le style d’écriture d’Irene, Shéhérazade des penseurs et chercheurs du XIXème siècle. Grâce à son talent inné de conteuse, vous apprenez une myriade d’anecdotes historiques sur la création du livre sans même vous en rendre compte et surtout, sans jamais vous ennuyer et sans jamais avoir de sensation de répétition. Elle a de plus cette capacité extraordinaire à vous faire réfléchir et penser par vous-même, en vous accompagnant dans son raisonnement qu’elle vous permet de vous approprier. Attention, je ne dis pas pour autant que la lecture de L’infini dans un roseau est facile! Elle est fluide et extrêmement agréable mais il m’a été parfois nécessaire de faire des pauses car le savoir exposé et la structuration de pensée d’Irene Vallejo nécessite une certaine gymnastique intellectuelle qui peut fatiguer l’esprit. De plus, l’essai fait quand même 500 pages, sans compter les notes et la bibliographie : ce n’est pas rien!

Il n’en reste pas moins que ces 500 pages se dévorent avec délectation. Vous voulez en savoir plus, vous voulez comprendre pourquoi Irene évoque ces chevaliers qui parcourent les terres grecques sous les yeux de paysans méfiants. Bref, vous voulez continuer à lire!

Les livres, survivants de l’histoire

On entend très souvent dire que le livre est mort, qu’il ne survivra pas aux nouvelles technologies mais Irene Vallejo nous rappelle que nous avons toujours des fragments des premiers ouvrages qui ont jamais été écrits. Pour elle, et l’Histoire lui donne raison, aucun support ayant servi à écrire n’a vraiment été supplanté par un autre. Aux tablettes d’argile ont succédé le papyrus long et fragile, le parchemin puis la pâte à papier que nous connaissons aujourd’hui. Chacun des supports a copié, recopié, annoté ce qui figurait déjà sur des supports plus anciens, et les musées regorgent d’exemplaires uniques de ces supports.

C’est ainsi que l’Iliade et l’Odyssée d’Homère ont survécu à travers les siècles (même si c’est sous forme partielle), que des morceaux des textes de Socrate, Platon, Aristote, Euclide, Pline, César, Charlemagne et tant d’autres nous sont parvenus, que des tapisseries retraçant l’histoire des Indiens d’Amérique existent toujours, que les hiéroglyphes ont pu être déchiffrés. Ces écrits anciens sont le fondement de la culture occidentale, et il existe la même chose pour d’autres cultures sur d’autres continents.

Pour Irene Vallejo, la force du livre réside dans la capacité continue qu’a eue l’homme de l’adapter à ses besoins et à ses ressources locales. Pour elle, le livre ne mourra jamais car tel le Phénix, il s’est toujours relevé de ses cendres, même si c’est partiellement et partialement. Grâce à la ténacité et à la volonté de plusieurs personnages de pouvoir et au dévouement de passionnés (les érudits du temps d’Alexandre Le Grand, les moines copistes, les bibliothécaires, les libraires…), il a traversé les siècles et continue d’exister aujourd’hui. Sa forme a changé, sa fonction aussi; son public s’est élargi. Certes, une grande partie des savoirs antiques sont aujourd’hui perdus à jamais mais Irene Vallejo nous rappelle la chance incroyable que nous avons d’avoir encore une trace, même infime, de ces écrits fragiles qui ont été protégés de l’usure du temps, des guerres, des incendies, des animaux et autres fléaux par des passionnés qui ont pu parfois même mourir pour eux.

L’invention du livre comme porte d’accès à de multiples sujets.

L’une des très grandes forces de cet essai est que son thème central permet à l’autrice d’aborder des sujets extrêmement variés qu’elle arrive à lui rattacher de façon naturelle. Imaginez que l’invention du livre soit la pièce centrale et d’entrée à partir de laquelle toutes les pièces d’un appartement sont distribuées en étoile, chaque pièce étant un sujet. A partir de l’invention du livre, Irene Vallejo aborde plusieurs grandes questions encore d’actualité de nos jours : l’évolution des supports d’écriture, l’accès au savoir, les manières de lire, la lutte pour le pouvoir qui passe par l’éradication de l’écrit et la confiscation du savoir, l’influence des religions qui a décru avec l’extension de l’alphabétisation, le féminisme avec l’oubli qui pèse sur les premières femmes autrices, les guerres qui ont très souvent ravagé les traces écrites, les bibliothèques qui ont survécu depuis la Grèce Antique et même au-delà ou encore l’écologie.

La lutte pour la reconnaissance des droits et des apports des femmes dans l’Histoire est ainsi abordée par le prisme des personnages féminins dans les livres et par les premières autrices connues dans l’Antiquité. Mais attention, Irene Vallejo ne se contente pas de les lister et de réciter leur biographie : ce serait trop banal! Pour plusieurs d’entre elles, elle tente d’expliquer, sources à l’appui, esprit critique et objectivité en bandoulière, le rapport qu’elles pouvaient avoir avec leur production littéraire et les hommes de leur époque. Elle tente ainsi d’expliquer de façon rationnelle et imagée en même temps les raisons de la disparition des femmes dans les origines du livre. Le discours féministe qui est tenu dans certaines sections de l’essai est ainsi cohérent sur le plan historique et rhétorique : en maniant les hypothèses, en rappelant le doute constant propre à l’historien, en citant ses sources et en replaçant le tout dans un contexte historique précis, Irene Vallejo nous offre une vraie démarche didactique et nous aide à exercer notre propre esprit critique sur son œuvre à elle. Quand je vous dis que c’est une magicienne!

conclusion

Vous l’avez compris, L’infini dans un roseau est donc une véritable déclaration d’amour aux livres. Sans en faire des tonnes, en rappelant des faits historiques qu’elle relie entre eux, Irene Vallejo souligne la force et la fragilité de cet objet que nous aurions pu, en tant qu’humains, éradiquer totalement.

Vous décrire ce qu’il a déclenché chez moi est quasi impossible, comme je vous l’ai expliqué en introduction. Je peux juste vous donner comme indication le fait que j’ai utilisé d’innombrables post-its, achetés exprès pour l’occasion en plus, pour marquer chaque passage, phrase ou idée que je ne voulais pas oublier et que… je n’ai jamais fait ça pour AUCUN des livres que j’ai lus jusque là! Je sais aussi que de l’avoir à côté de moi en rédigeant cette chronique me donne une furieuse envie de replonger la tête la première dedans, et il est certain que ce sera un ouvrage que je relirai régulièrement par pur plaisir.

C’est volontairement que je n’ai pas souligné la beauté de l’objet-livre en lui-même car cet argument était pour moi dérisoire compte-tenu de la force de son contenu. Cependant, les amoureux des beaux livres ne seront pas déçus par la qualité du papier, l’aisance de manipulation du livre et les détails de la somptueuse illustration de couverture. A l’image de son contenu, l’aspect de L’infini dans un roseau est à la fois simple, complexe et significatif.

Mieux qu’un chef-d’œuvre à côté duquel tous les autres livres nous paraitraient fades et qui pourrait provoquer panne de lecture et peur du vide livresque, L’infini dans un roseau est un essai qui magnifie chacune de nos lectures passées et à venir car il leur donne un sens profond. En lisant, nous perpétuons une tradition vieille de plusieurs millénaires, nous contribuons à la renforcer, nous participons à l’histoire du livre et à sa survie à notre petite échelle. Nous VIVONS le livre et lui vit à travers nous, que nous l’aimions ou le détestions, qu’il dorme dans une pile à lire ou soit dévoré aussitôt sorti d’une librairie. Le livre raconte une histoire et nous lui en créons une collectivement et individuellement en l’achetant (ou pas), en le lisant (ou pas), en le collectionnant (ou pas), en le chroniquant (ou pas). C’est une relation puissante, forte, évolutive, toujours riche de sens et qui fonctionne dans les deux sens.

Voilà, c’est la fin de cette chronique qui a mis longtemps à mûrir et qui, je l’espère, saura vous convaincre de vous procurer cette merveille des éditions des Belles Lettres. N’hésitez pas à commenter cet article et à me dire si vous aussi, vous avez eu un coup de foudre absolu pour un livre qui a changé votre vision du monde.

Les grandes oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, de Titiou Lecoq

présentation de l’œuvre

Titre : Les grandes oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes.

Autrice : Titiou Lecoq

Éditeur : L’Iconoclaste

Parution : 16 septembre 2021

EAN/ISBN : 9782378802424

Résumé : A chaque époque, des femmes ont agi, dirigé, créé, gouverné mais elles n’apparaissent pas dans les manuels d’histoire. Du temps des cavernes jusqu’à nos jours, l’autrice passe au crible les découvertes les plus récentes, analyse les mécanismes de la domination masculine et présente quelques vies oubliées.

Premier coup de gueule livresque de 2022 (et de ma vie)!

J’ai emprunté ce livre en médiathèque après en avoir vu plusieurs retours dithyrambiques. Je venais de finir à la même période l’excellent Féminisme pour les nuls qui, malgré un sommaire très complet, n’abordait pas l’angle spécifique de l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire. En tant qu’historienne, j’étais donc ravie de parfaire mes connaissances sur ce sujet.

La chute a été brutale et sans appel.

J’aurais pu vous écrire une chronique humoristico-ironique mais ce livre m’a fait perdre mon sens de l’humour.

J’aurais pu rédiger un avis tout en nuances pour expliquer que je suis passée à côté du livre, qu’il n’était pas pour moi ou que je ne l’ai pas lu à la bonne période. Sauf que ce serait mentir et je ne sais pas faire.

J’aurais pu aussi ne rien écrire et laisser filer sauf qu’il y a tromperie sur la marchandise et ça ne me plaît pas du tout.

On se retrouve donc aujourd’hui pour mon premier coup de gueule livresque de l’année et, je crois bien, de toute ma vie! Et pourtant, je vous assure que je suis bon public mais là, ce n’était juste pas possible.

Voici les 3 éléments principaux qui font que selon moi, cet essai est une vaste blague.

Raison N°1 – La forme

Quand j’ai emprunté ce livre en médiathèque, j’ai été agréablement surprise par son poids et me suis donc naturellement dit que j’aurai affaire à un essai fouillé, d’autant que comme je l’ai écrit plus haut, je venais de finir Le Féminisme pour les nuls qui était lui aussi très lourd et extrêmement complet. Je ne me suis pas méfiée et n’ai pas pensé à le feuilleter avant : grave erreur !! Si je l’avais fait, j’aurai tout de suite constaté que le texte était écrit en caractères énormes (14 ou 16), que les marges étaient outrageusement grandes (au moins 6 ou 7 cm pour celle du bas, et 4 à 5 cm pour celle de gauche) et qu’il y avait des pages entières avec seulement une citation écrite en énorme elle-aussi !

Exemple de citation dans le livre Les grandes oubliées – Crédit photo @lalalalivres.

La préface de Michelle Perrot, figure majeure de la recherche historique au sujet des femmes, a elle aussi été artificiellement gonflée avec une police d’écriture de 18 ou 20, à vue de nez et un texte qui tient sur 3 double pages, lesquelles auraient pu se réduire à une seule si la taille normale de police d’écriture avait été utilisée. A 18€ le livre (j’ai vu qu’il est entre-temps passé à 20,9€ en raison de la pénurie de papier), autant vous dire que j’ai été contente de l’avoir seulement emprunté !

La préface de Michelle Perrot, ou comment faire croire qu’il y a plus de texte qu’en vrai… – Crédit photo : @lalalalivres

Raison n°2 – Les sources mal ou non citées

Dès le début de son essai, l’autrice prétend nous donner accès aux dernières recherches traitant de ce sujet délicat de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire MAIS elle n’est pas capable de les citer correctement une seule fois, ni même de les récapituler en fin d’ouvrage. En tant que journaliste prétendant faire œuvre d’historienne et de vulgarisatrice pour le grand public, c’est un comble! Comment le lectorat qui souhaiterait creuser ce sujet pourra le faire s’il n’a pas les références complètes des sources sur lesquelles Titiou Lecoq prétend s’appuyer? Et quand je parle de références complètes, je ne veux pas dire qu’il manque une ou deux informations mineures, non, non : il manque systématiquement soit le nom de l’auteur, soit le titre de la publication! Les années ne sont pas non plus indiquées, ne nous permettant pas de savoir si elle s’appuie vraiment sur les dernières recherches comme elle le prétend.

Je dois en être à ma 5è utilisation du verbe prétendre en un seul paragraphe, je m’arrêterai là!

Un exemple concret toutefois : elle évoque page 30 « l’hypothèse de la grand-mère » pour expliquer je ne sais plus trop quoi mais n’indique nulle part qui est l’auteur de cette théorie et d’où elle sort. Quelques paragraphes plus loin, la formulation qu’elle emploie montre qu’elle considère cette hypothèse comme une preuve!

La fameuse « hypothèse de la grand-mère » qui devient une preuve quelques pages plus loin… – Crédits photo: @lalalalivres

Pour vous situer le degré d’amateurisme de l’autrice, Nicolas Beuglet, dans son roman Complot, a listé en fin de roman toutes les sources qui lui ont permis de bâtir et crédibiliser son intrigue. On n’en demandait pas autant à cet auteur de polar, ancien journaliste à M6 mais il l’a pourtant fait, ce qui crédibilise tout son roman. Le minimum attendu de la part de Titiou Lecoq était donc qu’elle nous récapitule l’ensemble de ses sources en fin d’ouvrage, comme tout chercheur et journaliste crédible doit le faire.

Un dernier point sur cette question des sources : j’ai arrêté ma lecture à la page 125 lorsqu’elle a mentionné Vikidia, l’encyclopédie en ligne des enfants, comme source pour une définition. Non seulement j’ai trouvé ça extrêmement insultant pour son lectorat qui est quand même loin d’être totalement inculte mais en plus c’est insulter toute sa profession et la communauté des historiennes et historiens à laquelle j’appartiens de par ma formation universitaire (j’ai un master en histoire contemporaine). En effet, la première chose que j’ai apprise à l’université et que j’ai ensuite transmise à tous mes élèves et étudiants, c’est que les encyclopédies collaboratives en ligne comme Wikipédia ou Vikidia NE SONT PAS DES SOURCES! La raison en est très simple : il s’agit de plateformes sur lesquelles les contributions sont écrites par des gens comme vous et moi. Nous sommes donc une source secondaire susceptible d’apporter des erreurs dans les textes que nous écrivons pour ces plateformes, même si les textes sont contrôlés derrière. Le minimum quand on fournit une définition est tout simplement de citer un dictionnaire : les références ne manquent pas!

Raison N°3 – Les biais cognitifs auto-construits

Je crois que c’est peut-être l’aspect le plus ironique de cet essai.

En refusant de prendre en compte des éléments et faits historiques et en privilégiant uniquement les travaux d’historiennes, l’autrice créée elle-même des biais de confirmation qu’elle dénonce pourtant dans son livre, le tout au nom du genre, ce qui est contre productif. Je m’explique.

Ce n’est pas parce qu’une femme a écrit sur les femmes qu’elle sera plus compétente sur la question. Elle peut tout à fait développer un ou plusieurs biais d’analyse du fait justement qu’elle est une femme, tout comme les hommes ont pu développer les leurs en avantageant la part masculine dans l’histoire. Une historienne pourrait (le conditionnel est important) par exemple chercher à privilégier le rôle qu’aurait pu avoir une reine au détriment de certains faits historiques. En clair, la compétence dans l’analyse des faits historiques n’a rien à voir avec le genre de la personne qui travaille sur ce sujet.

En se privant ainsi d’une partie potentielle des travaux de recherches historiques parce qu’ils ont été écrits par des hommes et n’iraient donc potentiellement pas dans son sens, Titiou s’enferme dans sa bulle de confirmation : tous les hommes ont voulu effacer les femmes de l’Histoire, ce qui n’est pas forcément vrai!

Elle nous déconseille aussi de revoir l’épisode de la série « Il était une fois la vie » des années 1980 sur la Préhistoire mais sans nous expliquer pourquoi. Or, la difficulté du travail d’historien réside précisément ici : il faut tenir compte du fait que cet épisode a existé et qu’il montre la vision que l’on avait à l’époque de la femme préhistorique. Titiou Lecoq aurait fait correctement son travail si elle nous avait indiqué que l’épisode en question était emblématique de la vision que l’on avait de la femme à l’époque, à savoir quelqu’un d’effacé qui s’occupe des enfants, mais que grâce aux dernières recherches, cette vision avait évolué au 21è siècle et abouti à une révision complète des paradigmes historiques. Le fait de rejeter un élément qui gêne mais qui a existé est le piège de la recherche, quelle que soit la matière étudiée.

Conclusion : A fuir!

J’ai été énormément déçue par le traitement qu’a réservé Titiou Lecoq à cette thématique fascinante qu’est l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire et surtout que ce livre ait pu passer dans autant de mains sans que personne ne s’indigne que les promesses d’origine ne soient pas tenues.

C’est donc mon premier abandon de 2022, malgré la lecture de 125 pages (70 ou 80 peut-être en taille normale peut-être) et surtout le premier et seul livre qui m’ait jamais énervé de toute ma vie! Sur plus d’une centaine de livres lus par an depuis mes 12 ans environ, cela vous donne une idée de l’étendue de ma déception!

Si vous souhaitez lire des récits intéressants sur ce thème de l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire et d’une manière générale sur le féminisme mais que vous n’y connaissez pas rien, je vous recommande les titres suivants :

  • Le féminisme pour les nuls, pour piocher les informations qui vous intéressent sur toutes les facettes du féminisme
  • Les deux volumes des Culottées de l’excellente Pénélope Bagieu, qui illustre les vies de femmes méconnues historiquement parlant
  • L’excellente BD Alice Guy de Catel et Boquet qui, bien qu’incomplète, a le mérite de ne pas minimiser les erreurs commises par les historiens lorsqu’ils se sont penchés sur l’histoire de Léon Gaumont.

N’hésitez pas à laisser un commentaire si ce livre vous plu ou déplu, pour que nous en discutions!

« L’assassin du train – Les sœurs Mitford enquêtent, volume 1 », de Jessica Fellowes

Présentation de l’œuvre

Titre : L’assassin du train Les soeurs Mitford enquêtent, volume 1

Autrice : Jessica Fellowes

Éditeur : Le livre de poche

Parution : 9 Mai 2019

Statut : Premier tome d’une série de cosy mystery organisée autour du personnage fictif de Louisa Cannon, chaperonne des sœurs Mitford qui elles ont bel et bien vécu au début du XXème siècle.

EAN/ISBN : 9782253259909

Résumé : Louisa Cannon rêve d’échapper à sa vie misérable à Londres, mais surtout à son oncle, un homme dangereux. Par miracle, on lui propose un emploi de domestique au service de la famille Mitford qui vit à Asthall Manor, dans la campagne de l’Oxfordshire. Là, elle devient bonne d’enfants, chaperon et confidente des soeurs Mitford, en particulier de Nancy, l’aînée, une jeune fille pétillante à l’esprit romanesque. Mais voilà qu’un crime odieux est commis : une infirmière, Florence Nightingale Shore, est assassinée en plein jour à bord d’un train. Louisa et Nancy se retrouvent bientôt embarquées dans cette sombre affaire. S’inspirant d’un fait réel (le meurtre de Florence Nightingale Shore encore non élucidé à ce jour), ce roman captivant nous emmène dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, des milieux défavorisés aux fastes de la High Society, à travers les déboires de Louisa, jeune servante d’origine modeste, et la soif d’aventure de Nancy, jeune aristocrate effrontée, toutes deux devenues complices et bien décidées à trouver l’assassin du train…

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire L’assassin du train?

C’est encore une fois suite à une proposition de Ludivine des Lectures du Chatpitre que je me suis retrouvée embarquée dans l’aventure! J’avais déjà repéré cette série en me disant qu’elle avait l’air sympa mais je n’avais pas encore franchi le pas de l’achat. Je me disais en effet que rien ne pressait et que j’avais quand même de quoi faire côté lectures. Mais quand Ludivine m’a suggéré que nous lisions ce titre ensemble, j’ai saisi l’occasion et me le suis procuré, décision que je ne regrette absolument pas!

Une série policière à part

Les soeurs Mitford enquêtent est pour moi une série complètement à part dans l’univers des romans policiers, pour des raisons que j’évoquerai un peu plus loin, mais ce n’est pas un cosy mystery, bien qu’il puisse être rangé dans cette catégorie sur les étals des librairies. Je vous explique pourquoi.

Pour celleux qui ne le savent pas, le cosy mystery est un style de roman policier venu tout droit d’Angleterre. Les ingrédients d’un bon cosy sont les suivants : un personnage qui se réfugie ou habite dans la campagne anglaise se retrouve à enquêter un peu malgré lui sur un meurtre, soit en prêtant volontairement main forte à la police, soit en s’invitant dans l’enquête car la police n’est pas très douée. Les enquêtes sont légères, se déroulent dans un village de carte postale souvent isolé où tout le monde se connaît, où les méchants ne sont jamais très méchants et où le thé coule à flots. Pour résumer, le cosy est au roman policier ce qu’est le feel-good à la littérature : une lecture détente.

L’exemple le plus connu de cosy mystery est celui de la série Agatha Raisin de M.C. Beaton, dont le premier tome La quiche fatale est paru en Angleterre en 1992. Ce sous-genre existe donc depuis longtemps mais ne s’est importé en France que depuis quelques années, les premières traductions françaises d’Agatha remontant à 2016.

Or, nous assistons depuis 2020/2021 à une explosion de cette branche particulière du roman policier en France, ce qui conduit à mon sens à une utilisation abusive de l’appellation cosy mystery, celle-ci étant devenue très vendeuse. Ainsi, des romans policiers classiques sont rattachés à ce genre alors qu’ils n’en ont quasiment aucune des caractéristiques. C’est le cas par exemple de L’année du gel d’Agathe Portail, roman policier paru en 2017, réédité en poche il y a peu et présenté sur certains étals de librairie avec les cosy mystery alors qu’il n’en a aucune des caractéristiques sauf celle d’en reproduire très légèrement l’ambiance avec une tante qui materne un peu son neveu gendarme.

Selon moi, la série des Sœurs Mitford enquêtent souffre elle aussi de ce classement abusif dans cette catégorie. Certes, l’héroïne Louisa Cannon n’est pas policière ; elle mène l’enquête en étant secondée par Guy Sullivan qui n’appartient pas aux forces de police traditionnelles puisqu’il est officie pour les chemins de fer. Mais l’ambiance et l’intrigue sont très sombres (il est question de la Première Guerre mondiale et de ses atrocités), l’autrice nous fait ressentir l’insécurité que les femmes pouvaient ressentir à l’époque à travers l’épisode du bal notamment et il règne une tension permanente sur Louisa que son oncle bat et prévoit de prostituer avant qu’elle ne réussisse à s’enfuir : pour le côté cosy (« cocon » en français), on repassera!

A mes yeux, Les sœurs Mitford enquêtent est donc une série policière qui se déroule dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, point. Elle illustrerait parfaitement un sous-genre qui pourrait s’intituler « roman policier historique inspiré de faits réels », au même titre que la série Les enquêtes des sœurs Brontë créée par Bella Ellis qui utilise le même ressort narratif (mêler la vie réelle des sœurs Brontë avec des enquêtes fictives en y ajoutant une touche de surnaturel).

Un savant mélange de réalité et de fiction.

Ce qui fait à mes yeux la grande force et l’originalité de cette série est qu’elle est fondée à 70% sur des faits réels. En effet, le meurtre utilisé dans le cadre de ce premier tome a réellement eu lieu. Il s’agit d’un fait divers qui n’a jamais été élucidé, celui de l’assassinat de Florence Nightingale Shore le 12 janvier 1920 dans le train partant de Londres et ayant pour destination Hastings. Tous les éléments décrits dans le roman sont tirés de la véritable enquête menée à l’époque. Les témoins, les noms, les faits, tout est fidèlement retranscrit par Jessica Fellowes.

Ensuite, les sœurs Mitford ne sont pas des personnages de fiction mais de vraies personnes qui ont vécu entre le début du XXème siècle et le début du XXIème : Déborah, la plus jeune des sœurs, est morte en 2014. Nancy, Pamela, Diana, Unity, Jessica, Déborah et leur unique frère Thomas sont nés entre 1904 et 1920 et ont eu des vies plutôt mouvementées et très différentes. L’autrice fait donc coïncider avec bonheur la chronologie de la vie des Mitford avec celle du fait divers.

Née en 1904 et aînée de la fratrie, Nancy a 16 ans au moment du meurtre de Florence Nightingale Shore, âge que lui prête Jessica Fellowes dans ce premier volume, et il est naturel qu’à cet âge et compte-tenu des nombreux enfants de la maisonnée, une gouvernante soit nécessaire. C’est là que le personnage fictif de Louisa Cannon entre en scène. Il est de notoriété publique que les gouvernantes se sont succedées dans la maison Mitford et que l’éducation des enfants a été assez approximative, bien qu’ils soient issus d’une famille de la haute société britannique. Il était donc facile et logique de faire de Louisa, l’héroïne de la série en duo avec Nancy, une gouvernante en charge de toute la fratrie.

L’autrice réussit donc un savant mélange entre réalité et fiction. Les personnages ayant existé sont retranscrits avec fidélité et l’ajout de Louisa, de sa famille et de Guy Sullivan, le policier des chemins de fer aspirant policier tout court, se fait assez naturellement.

Des personnages attachants, une intrigue complexe et bien menée.

Dans L’assassin du train, qui est donc le premier tome de sa série, Jessica Fellowes met l’accent sur les personnages de Louisa, Guy et Nancy que nous retrouverons dans les volumes suivants.

Louisa Cannon est un personnage à l’histoire trouble et assez lourde à porter. Nous apprenons dès le début qu’elle a perdu son père, qu’elle vit avec sa mère qui est blanchisseuse et que son oncle est un homme violent qui l’a formée dès son plus jeune âge à devenir pickpocket et veut la prostituer pour payer ses dettes. Il vit avec sa mère et elle sans contribuer au quotidien. C’est en cherchant à le fuir qu’elle se retrouve dans le train où Florence Nightingale Shore est assassinée. Elle rencontre sur le quai de la gare Guy Sullivan, un policier des chemins de fer intelligent, qui va chercher à comprendre ce qu’il s’est passé dans le train en dépit des ordres de ses supérieurs et alors même que l’enquête a été menée à son terme, sans conclusion satisfaisante selon lui. Pour rappel, dans la réalité, le meurtre de Florence Nightingale Shore est resté irrésolu. Louisa de son côté va réussir à se faire embaucher comme gouvernante des enfants Mitford et le lien avec l’infirmière assassinée se fait par la cuisinière de la maison dont la sœur était en relation avec elle.

Ce fait divers et le lien double le rattachant à la maison Mitford (via la cuisinière et via Louisa) va exciter l’imagination déjà très fertile de Nancy, l’aînée de la fratrie, jeune fille de seize ans particulièrement vive d’esprit mais également assez frivole. Elle se prend au jeu de l’enquête et cherche à comprendre ce qu’il s’est passé, avec l’aide de Louisa qui est devenue entre temps sa confidente. Les deux jeunes femmes, aidées de Guy qui a succombé au charme de Louisa, vont peu à peu dénouer les nœuds de l’enquête et la résoudre officieusement.

La vivacité de Louisa et Nancy, l’intelligence timide de Guy ainsi que la complexité du principal suspect sont pour beaucoup dans la réussite de ce premier roman, qui pose les bases de la série. Nous entrons dans un univers assez dense et sombre, où les intrigues sont plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord et où les personnages sont attachants.

Quelques invraisemblances et une fin un peu facile

Le seul élément à déplorer dans ce roman concerne les quelques invraisemblances et facilités que se permet l’autrice tout au long de son récit. On citera notamment la résolution on ne peut plus légère, en tous cas à mes yeux, de la situation entre Louisa et son oncle. Celui-ci est donc un homme violent, qui parasite la vie de sa belle-soeur et de sa nièce, les bat, les vole et prévoyait de prostituer Louisa pour régler ses dettes de jeu. Lorsqu’elle réussit à s’enfuir et à se faire embaucher chez les Mitford, elle doit couper les ponts avec sa mère pour qu’il ne la retrouve pas mais elle finit quand même par craquer et il arrive à savoir où elle habite. Il décide donc de s’installer dans le village à côté de la demeure de campagne des Mitford, ce qui terrifie Louisa qui craint que la réputation de son oncle ne vienne ternir la vie qu’elle s’est reconstruite. Cette situation qui semble donc inextricable est en fait résolue par le principal suspect dans l’enquête menée par Louisa et Nancy, qui ira simplement « discuter » avec l’oncle, sans que l’on connaisse la teneur de leur discussion, et cela suffira pour que l’oncle décide de laisser tranquille nièce et belle-sœur pour s’engager dans l’armée… Pourquoi pas? Mais c’est un peu court pour moi!

L’arrivée de Louisa dans la famille Mitford est également assez peu crédible puisqu’elle rate, à cause de son oncle, son premier entretien d’embauche pour la famille. Elle se présente malgré tout à leur demeure de campagne avec un jour de retard, sans affaires et après avoir marché plusieurs heures. Bien qu’elle ait rencontré au préalable Nancy grâce à une de ses amies qui la lui a présentée et que cette amie l’a recommandée auprès des Mitford, il paraît néanmoins peu crédible que Louisa ait pu être recrutée aussi « facilement » en se présentant de façon aussi cavalière. L’urgence d’un recrutement pour gérer les enfants peut justifier son engagement mais dans la haute société anglaise de l’Entre-deux-Guerres, il fallait quand même un peu plus de recommandations.

Enfin, le dénouement est assez facile (je n’insiste pas dessus pour ne pas spoiler).

Ceci étant dit, ces invraisemblances et facilités n’ôtent rien à la qualité du récit et contribuent même à lui donner un petit côté suranné très plaisant! J’ai donc hâte de me plonger dans la suite des enquêtes des sœurs Mitford et de lire leur biographie!

N’hésitez pas à me dire en commentaires si vous avez lu cette série et si elle vous a inspiré le même ressenti que moi!

« Ladies with Guns », d’Anlor et Olivier Bocquet

Présentation de l’œuvre

Titre : Ladies with guns

Auteurs : Anlor (dessinatrice), Olivier Bocquet (scénariste), Elvire De Cock (coloriste)

Éditeur : Dargaud

Parution : 14 janvier 2022

Statut : Premier volume d’une série sur laquelle on sait pour l’instant peu de chose.

EAN/ISBN : 9782205087338

Résumé : L’Ouest sauvage n’est pas tendre avec les femmes… Une esclave en fuite, une indienne isolée de sa tribu massacrée, une veuve bourgeoise, une fille de joie et une irlandaise d’une soixantaine d’années réunies par la force des choses. Des hommes qui veulent les maintenir en cage. Des femmes qui décident d’en découdre, et ça va faire mal. Ladies with guns est l’histoire de la rencontre improbable entre des femmes hors du commun refusant d’être des victimes. Un western iconoclaste et jubilatoire où rien ne vous sera épargné.

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire Ladies with guns?

J’ai tout simplement craqué sur le thème et la couverture! Quand j’ai vu les premiers posts sur Instagram de Dargaud qui le présentait comme un western au féminin, j’ai su qu’il me le fallait, d’autant plus que le graphisme correspond tout à fait à ce que j’aime en bande-dessinée : un dessin travaillé, le souci du détail et des couleurs chaudes.

Je n’étais cependant pas certaine que l’histoire me plairait et souhaitais donc la lire avant tout achat que j’aurai pu regretter après. Il se trouve que j’ai eu la chance à ce moment-là de pouvoir l’emprunter dans le cadre de mon CDD de libraire en janvier/février, ce qui me permet pour l’instant de remettre mon achat à plus tard, soit très exactement à la date de sortie du second volet!

Mon avis sur Ladies with guns

Sans égaler le dernier tome de Blacksad que j’ai lu en même temps, Ladies with guns est une bande-dessinée qui se défend très bien sur plusieurs plans, et un peu moins bien sur d’autres.

Visuellement, elle est difficile à décrire car le dessin est à la fois beau et repoussant. Je m’explique. Il y a dans le coup de crayon d’Anlor sur cette BD deux dimensions : la globale/macro et la particulière/micro. Le visuel général des planches est beau mais vous ressentez toujours comme un parasitage, un petit quelque chose qui dérange votre œil, un infime détail perturbant. Ce détail, vous le repérez en zoomant dans les cases de la page dont au moins une contient un élément bizarre, que ce soit dans les traits des personnages, le choix d’une couleur pour un décor ou un objet qui n’est pas à sa place. J’ai mis un peu de temps avant de repérer ces éléments « perturbateurs » que je suis peut-être la seule à ressentir comme tels, mais au bout d’une dizaine de pages, je n’y prêtais plus attention, étant happée par l’histoire qui est assortie à ce dessin bien particulier.

On pourrait s’imaginer à lire le résumé que Ladies with guns va être une énième histoire voguant sur la mode de la réécriture féministe d’univers jusque-là très masculins, le western dans le cas présent. Rien n’est moins vrai! L’important ici est que les cinq héroïnes sont soit issues de minorités, soit ne se conforment pas aux règles établies. Leur statut de femmes est « seulement » un facteur aggravant. Kathleen, la bourgeoise anglaise, perd son mari durant leur périple à travers l’Ouest américain pour rejoindre leur mine d’or mais elle refuse de se laisser intimider par les hommes qui l’accompagnent. Elle se procure une arme et n’hésite pas à s’en servir. Daisy est l’institutrice irlandaise retraitée d’une petite ville perdue dans l’Ouest américain. Crainte par le shérif et par les hommes en général, sa façon de vivre en recluse, sans mari ni enfants, dérange, d’autant qu’elle ne s’en laisse pas compter. Abigail, la jeune esclave noire, a été violée, battue puis vendue car elle s’est moquée de son maître lorsqu’il a voulu la prendre. Elle réussit malgré tout à se débarrasser de ses geôliers et à se cacher dans la forêt, dans sa cage fermée toutefois. Chumani l’Indienne, redoutable tireuse à l’arc, veut se venger de Kathleen qui a tué son frère, et des Blancs en général qui ont massacré sa tribu. Enfin, Cassie, la « pourvoyeuse de plaisirs » noire et cynique, garde encore une bonne part d’ombre mais révèle qu’elle s’est enfuie du bordel où elle travaillait pour échapper à sa condition de femme exploitée.

Ces cinq femmes n’ont donc pas grand chose en commun à part… leur statut de femme justement. Elles n’auraient jamais eu l’occasion de se retrouver sans le scénario d’Olivier Bocquet qui les fait se rencontrer dans des conditions assez délirantes, notamment dans les premières planches où Abigail, la jeune esclave enfermée dans sa cage, calme Kathleen et Chumani, sur le point de s’entretuer. Les trois femmes vont finir par s’entraider et trouvent refuge chez Daisy puis Cassie s’ajoutera dans l’équation un peu plus tard, grâce à la magie d’une couverture sur un chariot. Cependant, les conditions de leur rencontre pèsent finalement peu par rapport aux questions que soulèvent chacune de leurs histoires personnelles. L’esclavagisme pour Abigail, l’extermination des Indiens pour Chumani, la prostitution pour Cassie, la condition de la femme seule et étrangère dans l’Ouest américain, qu’elle soit veuve comme Kathleen ou vieille fille comme Daisy : tous ces thèmes apparaissent en filigrane par flashbacks et démystifient la conquête de l’Ouest telle qu’on la connaît, en en montrant les aspects plus déplaisants et sombres. Ladies with guns n’est pas seulement un western féministe, c’est aussi l’histoire de la conquête de l’Ouest et celle de l’Amérique montrée sous un jour moins glorieux mais plus réaliste.

Si on retrouve bien tous les codes du western dans Ladies with guns, avec une attaque de chariots de pionniers par des Indiens ou des cow-boys fatigués jouant aux cartes dans un saloon sous les yeux d’une mère maquerelle blasée, ils sont ici tournés en ridicule par le scénariste qui en joue pour valoriser ses héroïnes. Les hommes en prennent pour leur grade car pas un n’a de qualités : ils sont couards, faibles, vicieux, idiots ou méchants. Le shérif est ainsi un jeunot pas très doué et vraiment pas courageux, terrorisé par Daisy qui a été son institutrice ; l’épicier est aussi aimable qu’une porte de prison et les hommes de main sont globalement peu malins. Tous ont en commun de se sentir effrayés par ces cinq femmes qui ne jouent pas selon les règles habituelles. Elles ne rentrent pas dans les cases prévues pour elles donc il faut leur faire comprendre, par la violence tant qu’à faire, le rôle de femmes dociles à leur service qu’elles doivent tenir. Sauf que la réaction des hommes est disproportionnée par rapport à la gravité de ce qui leur est reproché et les femmes elles-mêmes n’avaient pas prévu cette escalade. La BD se termine sur une scène à couteaux tirés d’anthologie qui occupe bien une dizaine de pages, où Anlor se fait plaisir et nous plonge dans la bataille visuellement en déstructurant les cases habituelles de la BD. La fin du volume propose une ouverture appelant clairement une suite, les fameuses affiches « Wanted » étant placardées pour chacune de nos cinq héroïnes.

Conclusion – Une très bonne bande-dessinée mais il manque un petit truc.

J’ai passé un excellent moment avec les personnages et l’univers créés par Anlor et Olivier Bocquet mais il manque à mes yeux ce petit quelque chose qui aurait fait basculer Ladies with guns de très bonne bande-dessinée à coup de cœur. Pour moi, les personnages sont peut-être un peu trop caricaturaux et le récit manquait un peu de profondeur au niveau de ses héroïnes dont toutes les histoires ne sont pas exposées mais comme un volume 2 est probablement en route, je réserve mon avis définitif sur la série pour le jour où la suite sortira!

En attendant, si vous aimez les westerns et les surprises, je ne peux que vous conseiller la lecture de cette BD graphiquement originale, au scénario surprenant mais cohérent malgré tout et qui sort des sentiers battus!

« BlackSad 6 – alors tout tombe – Première partie », de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido

Présentation de l’œuvre

Titre : Blacksad 6 : Alors tout tombe – Première partie.

Auteurs : Juan Diaz Canales (scénariste) et Juanjo Guarnido (dessinateur)

Éditeur : Dargaud

Parution : 1er octobre 2021

Statut : Sixième volume de la série Blacksad, bande-dessinée espagnole qui met en scène des animaux anthropomorphes dont le héros, John Blacksad, est un chat détective privé. Il paraît presque 8 ans après le précédent tome et sera suivi d’un deuxième volet dont la parution est prévue en 2023.

EAN/ISBN : 9782205078046

Résumé : Chargé de protéger le président d’un syndicat infiltré par la mafia à New York, John Blacksad va mener une enquête qui s’avèrera particulièrement délicate… et riche en surprises. Dans cette histoire pour la première fois conçue en deux albums, nous découvrons à la fois le quotidien des travailleurs chargés de la construction du métro dans les entrailles de la ville, mais également la pègre et le milieu du théâtre, contraste absolu entre l’ombre et la lumière, le monde d’en bas et celui d’en haut incarné par l’ambitieux Solomon, maître bâtisseur de New York. Le grand retour de la série star de la bande dessinée !

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire BlackSad 6?

J’ai découvert cette série il y a deux ans chez ma meilleure amie qui possédait tous les volumes. Ne m’y étant jamais intéressée, je ne savais pas trop de quoi elle parlait : je me suis donc lancée sans à-priori et quelle surprise! J’ai été happée à la fois par les scénarii très travaillés, la finesse du dessin et la beauté des couleurs. Cependant, comme je manque de place chez moi pour stocker des BD et que la série avait l’air à l’époque gelée, je ne me suis pas précipitée pour l’acheter, au point que je ne l’avais toujours pas chez moi lorsque la parution du tome 6 a été annoncée. Heureusement, j’ai pu emprunter tous les volumes en médiathèque en octobre dernier afin de me rafraîchir la mémoire, en prévision de la lecture du nouveau tome qui sortait en novembre. J’avais décidé que selon mon ressenti à la lecture de celui-ci, j’achèterai ou pas la série ensuite. J’ai profité de mon CDD de libraire en janvier 2022 pour emprunter le volume 6 et clairement, il a fait pencher la balance en faveur d’un achat complet de la série à terme!

Petite rétrospective de la série.

Pour celleux qui ne connaissent pas, Blacksad est une bande dessinée mettant en scène des animaux anthropomorphes dans l’Amérique sombre de la fin des années 1950. Elle tient son nom de son héros, John Blacksad, un chat de gouttière détective privé taiseux, solitaire et désabusé, qui joue autant de ses poings que de son charme pour avancer dans ses enquêtes.

Le premier tome, Quelque part entre les ombres, est sorti en 2000 et a connu un succès public et critique immédiat avec son scénario de vengeance et d’amour perdu présentant tous les codes du polar noir, avec un John Blacksad qui enquête sur le meurtre de son premier amour, Natalia Wilford. Les deux créateurs, Juanjo Guarnido et Juan Diaz Canales, peaufinent leur création dans des suites qui paraissent à intervalles plus ou moins réguliers et traitent des thèmes politiques et sociaux qui ont réellement secoué l’Amérique des années 1950-1960. On trouve ainsi abordés le racisme dans Arctic Nation (2002) ainsi que le maccarthysme et la chasse aux communistes dans Âme rouge (2005). Les deux tomes suivants, L’enfer, le silence (2010) et Amarillo (2013), se déroulent à La Nouvelle-Orléans et sont plus axés sur la culture américaine. Le premier fait enquêter John Backsad dans le milieu du jazz et des drogues dures où il doit retrouver la trace d’un pianiste très connu en son temps, Sebastian « Little hand » Fletcher. Le deuxième se penche sur la « Beat generation« , mouvement artistique et littéraire représenté par Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William S.Burroughs, représentés sous formes animales par Guarnido.

Il faudra attendre huit années pour que les deux créateurs, pris par leurs autres projets (les illustrations des Indes fourbes et le clip Freak of the Week du groupe suédois Freak Kitchen pour Guarnido, la résurrection de Corto Maltese dans trois albums et la création ses propres BD Au fil de l’eau et Gentlemind pour Diaz Canales), se retrouvent enfin autour de Blacksad! Pour le retour du chat détective privé, ils ont imaginé une aventure en deux parties autour de l’urbanisation galopante du New York des années 1950, qui s’opérait au détriment des transports en commun. Les figures de Jimmy Hoffa, célèbre représentant du syndicat des camionneurs dans les années 1950, et Robert Moses, urbaniste controversé de la Grosse Pomme de la même époque, ont directement inspiré deux des personnages que l’on retrouve dans cette première partie de Alors tout tombe, dont la suite est prévue pour 2023.

Un retour aux sources

Bien que toujours d’excellente qualité graphique, le dernier tome de Blacksad paru jusque-là, Amarillo, est considéré comme le plus faible de la série. Il est vrai que l’action y est assez décousue et l’intrigue plutôt légère par rapport aux autres volumes, John devant simplement conduire une voiture d’un point A à un point B à la demande d’un riche texan, voiture qu’il se fait piquer dans une station service par deux écrivains beatniks qui finissent par s’affronter, l’un tuant l’autre. Ajoutez à cela que son comparse et faire-valoir, le journaliste Weekly, le quitte au début de l’histoire pour rentrer à New York alors que John reste à la Nouvelle Orléans avant de se lancer dans une sorte de road trip à travers quelques états américains pour retrouver la voiture et l’assassin et vous obtenez quelques clés qui peuvent expliquer cet avis négatif.

Rien de tout cela dans Alors tout tombe. John est de retour à New York, où on le voit apprécier une pièce de théâtre en plein air avec Weekly au début du volume, dans des planches absolument sublimes. L’histoire mêle habilement plusieurs intrigues concernant le milieu du théâtre, celui des ouvriers du métro et de leur syndicat ainsi que les hautes sphères politiques de la ville favorables à une urbanisation galopante au nom du progrès et au détriment des transports en commun. L’univers sombre, les machinations politiques, les meurtres sont de retour aussi, de même que les réflexions en filigrane sur la société américaine de l’époque, transfigurée par le zoomorphisme cher à Guarnido.

Enfin, la chute de ce sixième volume est à la fois un appel du pied pour la suite et un immense cliffhanger pour les fans de la première heure mais je ne peux décemment pas vous en dire plus ici, le spoiler serait beaucoup trop énorme! Cela vous fera donc un premier prétexte pour vous procurer cette BD et la dévorer. Car oui, le scénario et sa chute ne sont que les premiers éléments qui vont vous faire craquer et foncer lire ce tome en urgence!

Un graphisme spectaculaire

Le coup de crayon de Juanjo Guarnido sur Blacksad s’est affiné avec le temps et plusieurs de ses planches sont d’une beauté à couper le souffle, quel que soit le volume considéré. Ayant travaillé pendant plusieurs années dans l’animation pour les studios Disney, il en a gardé un certain nombre de caractéristiques qui ont directement influencé la construction et le graphisme de l’univers de Blacksad. Zoomorphisme, perspectives, musculatures, mouvements des corps, choix des couleurs, détails aquarellés, précision des visages, richesse du bestiaire : l’immense talent de Guarnido s’exprime dans sa pleine mesure et vient sublimer les scénarii et les personnages de Diaz Canales dans un accord parfait. Blacksad n’est pas juste une bande-dessinée mettant en scène un chat humanisé dans une Amérique réinventée : c’est une œuvre d’art perpétuelle qui confirme le statut de neuvième art octroyé à la BD.

Dans Alors tout tombe, le talent de Guarnido explose encore et atteint un degré de sublime vertigineux. Toutes les planches sans exception sont de purs bijoux de graphisme, notamment celles qui prennent une pleine page et il y en a quelques unes. La planche où John Blacksad, en bras de chemise et infiltré parmi les ouvriers du métro, porte des barres de fer est un vrai chef d’œuvre visuel. Le choix des couleurs, le détail et la finesse des traits, les jeux d’ombre, tout est travaillé avec minutie mais aucun dessin n’est froid ou clinique : vous ressentez en voyant les planches et les cases l’atmosphère poisseuse du métro, les tensions, la peur, la mégalomanie des uns et la détresse des autres.

Je suis pour ma part très sensible à ce type de graphisme, fourmillant de mille et un détails, coloré, vivant. L’extrait que vous voyez ci-dessous est l’un de ceux qui m’ont le plus marquée par la richesse des jeux d’ombre et le passage en quelques cases d’un monde très coloré à un univers bicolore, le tout sans que cela ne choque l’œil car l’histoire suit. John passe de la lumière et l’agitation du progrès (la ville, ses gratte-ciel, la manifestation) à l’obscurité et au calme relatif des tunnels du métro.

Planche extraite de Blacksad tome 6, Alors tout tombe, première partie, de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido – Dargaud, 2021.

DEs personnages complexifiés

Si l’on sait peu de choses sur John Blacksad à travers les volumes de la série, son côté énigmatique et taiseux lui apporte une profondeur qui est encore renforcée par le contraste qu’il offre avec Weekly, la fouine journaliste qui lui sert de comparse et faire-valoir. Et c’est ce personnage jusque-là peu exploité qui prend une nouvelle dimension dans Alors tout tombe. Pour commencer, on le voit enfin évoluer seul, sans John à ses côtés pour justifier sa présence. Il est également représenté sur son lieu de travail, chose rare, voire inexistante, et n’est plus seulement là pour faire rire. Il a même quelques scènes très sérieuses. Enfin, il est accompagné d’une jeune femme, journaliste indépendante, qui va lui faire reconsidérer son métier.

Son travail de journaliste est en effet remis en question sur deux fronts : par le nouveau patron de son journal à sensation qui veut des articles plus fouillés, et par cette jeune femme qui a une approche beaucoup plus littéraire du métier. Cela l’amène à se questionner et à s’engager dans une voie journalistique qui ne semble pas lui convenir. Il est donc très intéressant de voir le comparse de John prendre enfin un peu d’épaisseur et devenir plus qu’un faire-valoir rigolo.

La galerie des personnages secondaires est également d’une richesse impressionnante. De la directrice de la compagnie de théâtre au président du syndicat des ouvriers du métro en passant par Solomon, le faucon qui dirige les opérations d’urbanisme de New York, tous sont finement ciselés, que ce soit sur le plan graphique ou psychologique. Comme toujours dans cette série, le zoomorphisme est adapté aux caractéristiques des personnages : un journaliste (la fouine Weekly), un détective qui s’attire toujours des ennuis (le chat noir Blacksad), un ambitieux (le faucon Solomon), une directrice de théâtre qui ne se laisse pas faire (un lama)… Les parallèles sont intéressants!

Enfin, sans dévoiler quoi que ce soit, je peux au moins vous dire que le cliffhanger final repose sur un personnage important de la série et qu’il mérite à lui seul la (re)lecture de toute la saga!

Conclusion – Peut-être le meilleur Blacksad à ce jour!

Je conclurai cet article en vous disant que ce nouvel opus de Blacksad est largement à la hauteur des huit ans d’attente! Le duo Diaz Canales – Guarnido est revenu avec ce qui est à mes yeux pour l’instant le meilleur volume de Blacksad, tant graphiquement que scénaristiquement. Les personnages, les planches, les intrigues, tout est parfait… ou presque : il manque encore Alors tout tombe – Deuxième partie! Vivement 2023!

Si vous n’avez jamais lu cette bande-dessinée et que vous aimez les ambiances polars, je ne peux que vous recommander de découvrir cette série atypique qui est aussi un pur régal pour les yeux.

« L’île du Diable », de Nicolas Beuglet (série Sarah Geringën, tome 3)

Présentation de l’œuvre

Titre : L’île du Diable

Auteur : Nicolas Beuglet

Éditeur : Pocket

Parution : 3 septembre 2020

Statut : Troisième tome de la trilogie construite autour de l’inspectrice norvégienne Sarah Geringën après Le cri et Complot.

EAN/ISBN : 9782266307598

Résumé : Le corps recouvert d’une étrange poudre blanche, des extrémités gangrenées et un visage figé dans un rictus de douleur… En observant le cadavre de son père, Sarah Geringën est saisie d’épouvante. Et quand le médecin légiste lui tend la clé retrouvée au fond de son estomac, l’effroi la paralyse. Et si son père n’était pas l’homme qu’il prétendait être ? Des forêts obscures de Norvège aux plaines glaciales de Sibérie, l’ex-inspectrice des forces spéciales s’apprête à affronter un secret de famille terrifiant. Que découvrira-t-elle dans ce vieux manoir perdu dans les bois ? Osera-t-elle se rendre jusqu’à l’île du Diable ?

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire L’île du diable?

Tout est parti de ma découverte du premier volet de la trilogie, Le Cri, que j’ai lu en octobre 2021, avant de me lancer sur Bookstagram et de commencer ce blog. Cette lecture a été un tel plaisir que j’avais décidé de lire les autres tomes. Il se trouve que quelques jours après avoir créé mon compte sur Instagram, j’ai discuté avec Aurélie qui avait elle aussi lu Le Cri, avait adoré et voulait enchaîner avec la suite! Nous nous sommes donc lancées toutes les deux dans un premier temps, et nous avions prévu la lecture de Complot, le volume 2, en décembre 2021. Quelques comptes se sont ajoutés aux nôtres et la lecture a été grandement appréciée, au point que j’ai lancé l’idée de lire L’île du diable en janvier 2022, pour boucler la trilogie. Et voilà!

Petit aperçu de la saga Sarah Geringën

Comme vous l’avez lu plus haut, j’ai déjà lu Le cri et Complot sur 2021. Comme je n’ai commencé ce blog qu’en 2022, je ne pense pas les chroniquer en détail ici donc je vous propose un petit retour sur ces deux premiers opus magistraux.

Le cri nous met en présence de l’inspectrice norvégienne Sarah Geringën qui enquête sur le décès suspect du patient 488 d’un hôpital psychiatrique, figé dans la mort avec un cri de peur primale aux lèvres. S’ensuit un compte à rebours haletant durant lequel Sarah va découvrir la vérité sur la vie après la mort.

Complot ne prend pas la suite directe de l’intrigue du Cri. On retrouve Sarah, installée en Norvège avec Christopher et son fils Simon, qu’elle a rencontrés lors de l’enquête précédente. Elle est appelée sur une scène de crime particulière, un archipel isolé au nord de la Norvège où le corps de la victime, qui n’est autre que la Première ministre du pays, présente des blessures symboliques mystérieuses. Sarah pressent que ce meurtre n’est que le premier d’une série mais elle est systématiquement devancée dans son enquête, comme si quelqu’un lisait dans ses pensées. Le complot qu’elle mettra à jour lui coûtera cher…

Que vous lisiez Le Cri ou Complot, vous en prendrez plein les yeux : ces deux romans sont de vrais page-turners. Les intrigues sont extrêmement bien construites et profondes, avec pour les mener deux personnages qui se complètent bien. Sarah est une inspectrice accomplie, ancienne membre des forces spéciales, belle, distante, professionnelle et parfois glaçante et glaciale dans sa façon d’être. Cet aspect de sa personnalité est atténué par la présence de Christopher, journaliste français beaucoup plus humain et spontané. Ces deux héros se rencontrent et leur couple fonctionne, ce qui rend Sarah plus attachante.

Au niveau des intrigues, les deux sont excellentes mais celle de Complot m’a particulièrement assommée car basée sur des recherches précises et fouillées de l’auteur qui nous fournit sa documentation en fin d’ouvrage. Il y a donc une part de réalité indéniable qui rend cette lecture encore plus marquante et donne envie de se renseigner davantage sur les proportions réelles du complot révélé par Sarah. Je n’en révèle pas plus ici car je devrais alors vous dévoiler le cœur de l’intrigue mais sachez que de l’archéogénétique entre dans la composition du récit.

Pour résumer, j’ai plus qu’adoré Le Cri et Complot : j’ai été happée, fascinée, époustouflée! Le très haut niveau d’excellence du Cri a été encore élevé de plusieurs crans avec Complot pour le plus grand bonheur de la lectrice avide de polars que je suis. J’ai donc inscrit Nicolas Beuglet dans mon Panthéon des auteurs français à suivre, au même titre que Bernard Minier, Jean-Christophe Grangé et Henri Loevensbruck (découverte récente lui aussi mais j’y reviendrai plus tard).

Mon avis sur l’île du diable

Après ces deux excellents premiers tomes et surtout Complot qui a été une claque phénoménale, l’attente était donc importante concernant L’île du Diable. Et force est de constater que malheureusement, le compte n’y est pas.

Pour commencer, même si on dit toujours que la quantité ne fait pas la qualité, L’île du Diable dépasse à peine les 300 pages quand les deux autres tomes en font plus de 550. On est donc clairement sur une histoire qui sera moins développée ou à défaut, plus intense et ramassée. J’ai ressenti de plus une certaine gêne chez l’auteur, comme s’il ne savait pas trop quoi faire de Sarah Geringën après Complot, ce qui est tout à fait normal au vu de la densité de ce roman et du précédent. Pour ne rien vous cacher, j’ai déjà plus ou moins oublié ce qu’il se passe dans le troisième opus, que je mélange dans mon esprit avec le deuxième. Comment expliquer ce phénomène d’oubli et de confusion? Si je devais émettre des hypothèses, je dirais que trois éléments sont en cause.

Le premier est la densité scénaristique des deux premiers tomes. Le Cri est mené tambour battant, les actions s’enchaînent, on n’a pas le temps de se remettre de la chute d’une péripétie qu’une nouvelle prend la suite, et ce jusqu’à la fin du roman, sans temps mort. On retrouve ce rythme haletant dans Complot avec en supplément une densité d’informations technico-scientifiques liées au complot déjoué par Sarah. L’ensemble fait que notre cerveau fonctionne à plein régime pour analyser les données transmises, nous laissant totalement abasourdis au moment de la révélation finale car oui, notre cerveau a fait le cheminement mais n’a pas vu la conclusion arriver et elle est à la fois évidente et choquante. Or, l’intrigue de L’île du diable est en comparaison très classique et souffre donc d’arriver à la fin de la trilogie. Le rythme qui était fluide et rapide dans les deux premiers tomes est ici cassé par des scènes qui semblent posées un peu au hasard, sans lien entre elles. C’est comme si l’auteur avait commencé un puzzle, assemblé le contour et les éléments du centre mais renoncé à relier le tout par manque d’envie ou de temps. On distingue donc le schéma de l’histoire mais il nous manque les détails de liaison qui assurent le rendu définitif. Le potentiel de ce roman m’est ainsi apparu comme un peu gâché.

Le deuxième élément est lié à l’intrigue dont les origines, la mise en place et la résolution manquent à mes yeux de crédibilité et de réalisme. Elle porte de plus des questionnements éthiques et moraux qui sont évacués un peu rapidement à mon goût. Les enfants peuvent-ils/doivent-ils être rendus responsables des actions de leurs parents et grands-parents? Peut-on excuser certains actes lorsqu’ils sont commis en vue d’assurer la survie d’un groupe? La vengeance permet-elle l’expiation des crimes commis? La gravité des crimes commis peut-elle excuser n’importe quel acte de vengeance? Où s’arrête l’escalade dans la vengeance? La haine peut-elle survivre à la mort? Le méchant de l’histoire, son discours, ce qu’il a mis en place sur l’île du Diable, tout est à mes yeux très discutable et pas forcément excusable. Le fait que tous ces points ne soient pas vraiment débattus renforce encore plus mon sentiment de gâchis de potentiel.

Enfin, le troisième élément qui, selon moi, peut expliquer mon « désamour » concerne les personnages, principaux comme secondaires. L’intrigue est organisée autour du père de Sarah, sur lequel l’accent n’a pas été spécifiquement mis dans les volumes précédents, la famille de Sarah étant juste une ombre en arrière-plan, utile pour gérer Simon (le fils adoptif de Christopher) et sans histoire. Que ce personnage transparent meure dans des conditions plus qu’horribles pour expier un « crime » dicté par des circonstances extérieures sur lesquelles ni lui ni personne n’avait de prise à l’époque est assez tiré par les cheveux pour moi, d’autant que le ressort a déjà été utilisé dans la trilogie (mini spoil, je m’arrête là!). Il se trouve aussi que même s’il constitue le nœud de l’intrigue, le focus n’est pas mis sur le père de Sarah ce qui a eu pour effet sur moi de le laisser sans consistance. Je m’explique. Tout ce qui lui arrive dans son enfance est raconté à travers les yeux de tierces personnes qui ne l’ont pas connu ou pas compris : sa fille, le méchant, sa femme. De plus, ces intervenants l’évoquent très vite, surtout sa femme et ce malgré plusieurs années de vie commune. J’ai donc eu l’impression tout au long du roman qu’on s’efforçait de faire vivre un bonhomme en papier, littéralement. Pour couronner le tout, on apprend finalement très peu de choses sur la vie qu’il a eue, ce qui a maintenu chez moi cette sensation de personnage creux auquel l’auteur colle des actions parce que cela aide à faire avancer l’intrigue.

L’autre élément qui n’aide pas à donner corps à ce personnage, c’est… sa fille Sarah, l’héroïne de la trilogie. Elle est monolithique, froide, inhumaine : rien ne l’atteint, rien ne peut la vaincre. Ce côté invincible était déjà flagrant dans les autres volumes mais la présence de Christopher, plus vulnérable et spontané, rejaillissait sur elle et la rendait moins effrayante. Christopher étant beaucoup moins visible dans L’île du Diable, son côté « wonderwoman invincible » ressort. Trop. On dirait un robot! Elle survit tout de même aux évènements traumatisants de trois romans sans séquelles psychologiques ou physiques et elle analyse cliniquement l’assassinat de son père, tué au moment de sa sortie de prison, comme si c’était un meurtre classique. La fin du roman n’aide pas à la considérer comme humaine… peut-être ne l’est-elle pas vraiment ou a-t-elle une dimension légèrement sociopathe qui m’a échappé?

Conclusion – Le livre de trop

L’île du diable souffre clairement d’être passé après les deux monuments de suspense et de complexité scénaristique que sont Le Cri et Complot. J’ai ressenti une gêne chez l’auteur, comme s’il ne savait pas trop quoi faire d’une héroïne dont il avait fait le tour ni comment finir cette histoire. Il est d’ailleurs ensuite passé à une nouvelle série avec une autre inspectrice, Grace Campbell, dans Le dernier message.

Comme pour Matrix que je considère comme un one-shot (les 2, 3 et 4 n’existent pas dans ma matrice), cela ne me dérange pas d’envisager la saga Sarah Geringën comme une duologie. Certes, l’inspectrice est en mauvaise posture à la fin de Complot mais toutes les histoires n’ont pas à finir bien, même si cela aurait provoqué une attente phénoménale qu’il aurait été encore plus difficile de combler. J’ai donc parfaitement conscience que la conclusion de cette trilogie était de toute façon compliquée à trouver.

Au final, même si L’île du Diable est une déception pour moi, il n’enlève rien à la qualité des deux premiers opus de la série et au talent de Nicolas Beuglet dont j’ai bien l’intention de continuer à lire les romans!

« Une saison à la petite boulangerie », de Jenny Colgan (La petite boulangerie tome 2)

Présentation de l’œuvre

Titre : Une saison à la petite boulangerie

Autrice : Jenny Colgan

Édition : Pocket

Parution : 6 avril 2017

Statut : Deuxième volet d’une trilogie organisée autour du personnage de Polly Waterford, une jeune citadine qui décide de s’exiler sur une île isolée et découvre que sa passion pour le pain peut devenir son mode de vie. Le premier tome est intitulé La petite boulangerie du bout du monde et le troisième Noël à la petite boulangerie.

EAN/ISBN : 9782266273145

Résumé : Polly Waterford coule des jours heureux sur la paisible île de Mount Polbearne. Sa petite boulangerie connaît un franc succès : les habitants du village continuent de s’y presser et un journal régional souhaite même la sélectionner dans son prochain guide ! Polly est aussi comblée par son histoire d’amour avec Huckle, le séduisant Américain qui a su conquérir son cœur. Les deux amoureux se sont installés ensemble dans le grand phare qui domine l’océan. Malheureusement, lorsque le nouveau propriétaire de la boulangerie de Polly débarque sur l’île avec une lueur malicieuse au fond des yeux, celle-ci réalise soudain que son bonheur est bien fragile. Et le départ précipité de Huckle pour les États-Unis ne l’aide guère à envisager l’avenir avec sérénité. Face à cette nouvelle tempête qui se prépare, Polly va devoir se battre pour ne pas laisser sa vie prendre l’eau. Réussira-t-elle à surmonter les obstacles qui se dressent sur sa route ?

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire Une saison à la petite boulangerie?

En étant parfaitement honnête, je dois bien avouer que les romans feel-good comme celui de Jenny Colgan ne sont pas ma tasse de thé. D’une manière générale, je n’aime pas les histoires trop lisses, trop romancées, trop « tout le monde est gentil ». J’ai besoin qu’un récit me tienne en haleine, qu’il y ait de vrais rebondissements, de l’action, du réalisme bref beaucoup de choses qui ne figurent pas toujours dans les feel-good. Cependant, un ensemble d’éléments ont fait qu’Une saison à la petite boulangerie a croisé ma route et que la cohabitation s’est plutôt bien passée.

Pour commencer, je ne déteste pas foncièrement les romances : tout dépend de la façon dont elles sont écrites et des héroïnes. Quand j’étais adolescente, j’empruntais à la bibliothèque municipale de mon village les romans d’Alexandra Ripley dont certains m’ont laissé une impression si forte qu’une fois adulte, je me les suis procuré (Scarlett, Pour tout l’or du Sud). C’est le cas également pour Les oiseaux se cachent pour mourir de Colleen McCullough et Dans un grand vent de fleurs de Janine Montupet. Tous ont en commun d’avoir des personnages féminins très forts et indépendants. Plus tard, j’ai découvert Katarina Bivald et sa Bibliothèque des cœurs cabossés, dont je ne me rappelle plus très bien mais que je garde précieusement car je sais que je l’ai aimé. Enfin, j’ai encore en attente de lecture les deux premiers Bridget Jones qui ont survécu à plusieurs déménagements et à mon énorme tri de livres de 2019 parce que j’ai bien aimé les films et que je veux arriver à lire les romans.

A ce contexte général se sont ajoutés mon humeur et mes objectifs du moment. J’ai en effet décidé en 2022 d’ouvrir davantage mes horizons littéraires en sortant de ma zone de confort polars/thrillers et d’explorer de nouveaux genres. Je voulais aussi savoir à quel endroit exactement placer mon curseur de goût pour les romans feel-good dont j’ai finalement lu très peu d’exemples jusqu’au bout. J’ai ainsi abandonné Demain est un autre jour de Lori Nelson Spielman ainsi que La charmante librairie des jours heureux, de Jenny Colgan (!) dont j’ai même possédé à une époque La petite boulangerie du bout du monde (le tome 1 de la présente lecture donc, oui, oui!) que je n’ai jamais ouvert et qui a été évacué sans pitié lors de mon tri de 2019.

Enfin, ce qui a fini de me décider était que ce roman était proposé en lecture commune par ma copine Ludivine du blog Les lectures du chatpitre et qu’il était disponible à ma médiathèque! L’avantage d’une lecture commune est que la présence du groupe peut nous aider à dépasser un blocage et ainsi finir un livre. Cela a été particulièrement vrai pour la LC précédente de Ludivine, le recueil 13 à table 2021 pour lequel tous les membres du groupe de lecture ont été déçues tant il était sombre et en décalage avec la thématique annoncée. Ludivine a donc proposé Une saison à la petite boulangerie pour contrebalancer ce mauvais ressenti car elle l’avait dans ses livres en attente, qu’il était facile de se le procurer et qu’il s’agissait d’une lecture légère!

Mon avis sur Une saison à la petite boulangerie

Honnêtement, c’était une lecture sympathique mais sans plus. Elle a pu profiter d’une certaine indulgence de ma part et d’un moment (très court) en janvier 2022 où mon humeur correspondait à ce type de roman. Je suis contente de l’avoir lu mais ce n’est clairement pas un coup de coeur! Suivez-moi, je vous explique.

Pour commencer, j’ai trouvé le roman long. Très long. Avec 483 pages, on commence à avoir un joli pavé livresque! Le problème est que sur ces presque 500 pages, on pouvait facilement en évacuer la moitié sans que le récit ne perde en cohérence. De nombreuses scènes n’ont pas d’utilité particulière, notamment toute la partie sur le revers de fortune des amis de Polly et Huckle. L’essentiel de l’action et du suspense se situent dans la seconde partie du roman, aux environs des 150è-200è pages. Il faut donc tenir jusque-là, d’où l’intérêt de la LC : celles qui comme moi étaient dubitatives ont été motivées par les autres membres du groupe! J’ai ainsi pu aller au-delà du début peu intéressant (pour moi) du livre et enfin entrer dans l’histoire. Je ne peux cependant que constater avoir lu d’autres romans bien plus courts mais beaucoup plus attrayants et captivants.

Le style de Jenny Colgan permet heureusement une lecture fluide. Elle écrit bien, sans que cela ne soit non plus phénoménal. Si je me suis ennuyée, c’est plus par manque d’action dans le récit : il se passe finalement peu de choses dans cette Saison à la petite boulangerie. En substance, tout va bien pour Polly au début du roman puis il se passe quelque chose qui fait que toute sa vie déraille et au final, tout s’arrange et redevient comme avant. On voit arriver les péripéties à des kilomètres, certaines sont exagérées pour leur donner une importance que même les personnages ne leur accorde pas (la perte de fortune des amis de Polly par exemple) et on sait d’avance que tout va finir par s’arranger.

Mais comment peut-on le savoir me direz-vous? Tout simplement parce que tout dans ce roman transpire la gentillesse et les bons sentiments, à l’exception bien sûr du méchant fils de la propriétaire, idiot, cupide, vindicatif et macho (oui, oui, tout ça en même temps!) et, dans une moindre mesure, de Dubose, le petit frère d’Huckle, volage et irresponsable. Au passage, vous relèverez l’originalité des prénoms donnés par l’autrice à ses personnages! Il y en a plein d’autres mais j’avoue les avoir déjà oubliés. Les ficelles du scénario sont énormes et prévisibles, des situations pourtant complexes ou présentées comme telles sont résolues en un claquement de doigts et d’autres sont tout simplement invraisemblables ou inutiles. Ainsi, on ne voit pas trop ce que vient faire à Polbearne la veuve de celui qui était l’amant de Polly dans le premier roman. Le méchant fils de la propriétaire finit par laisser la boulangerie à Polly après une histoire totalement invraisemblable de détournement d’argent pour l’achat d’une trompette et Flora, l’aide pâtissière de Polly au physique ingrat, se transforme en bombe lors d’une soirée sans que l’on sache trop comment cela est possible!

Le décor et les personnages sont également très caricaturaux, avec le joli petit village de carte postale sur la petite île isolée, Polly la gentille boulangère que tout le monde aime, Huckle le beau géant Américain généreux, son frère cadet volage et irresponsable, le méchant idiot et vindicatif, le riche couple d’amis flambeurs qui finit par perdre sa fortune, et j’en passe. J’ai trouvé Polly agaçante dans l’ensemble, à s’inquiéter puis à se plaindre et à subir sans rien dire les brimades du fils de la nouvelle propriétaire de la boulangerie. Huckle est très américain, à repartir dans son pays tel un chevalier servant pour à la fois aider sa belle-sœur enceinte tout en gagnant l’argent qui leur permettra à lui et Polly d’entretenir correctement leur phare. Le seul « personnage » que j’ai vraiment trouvé attachant est Neil le macareux, d’où la présence d’une peluche de macareux sur ma photo, souvenir de mon voyage en Islande :-)! Ce petit animal têtu est adopté par Polly et Huckle malgré le fait qu’il ne soit pas « domesticable » d’après le vétérinaire du village. C’est clairement par lui que passe le peu d’émotions que ce roman a pu me procurer et il est également l’auteur de la seule action réelle dans les 150-200 premières pages ennuyeuses que j’ai mentionnées plus haut.

Pour résumer mon ressenti, Une saison à la petite boulangerie est un feel good basique et caricatural, plutôt bien écrit même s’il y a des longueurs. Il m’a convenu au moment où je le lisais car je recherchais une lecture légère, sans prise de tête. Cependant, il ne me laissera pas un souvenir impérissable et je ne pense pas que ce soit le meilleure exemple de feel good qui existe. D’après les chroniques et commentaires que j’ai pu lire en préparant cet article, il semblerait même que le tome 1 de la saga soit nettement meilleur. Je vous laisse donc vous faire votre propre opinion et m’indiquer en commentaires ce que vous pensez de cette saga car je n’en lirai pas d’autres volumes!

« Vengeance sauce piquante », de Sally Andrew (Une enquête de Tannie Maria volume 2)

Présentation de l’œuvre

Titre : Vengeance sauce piquanteUne enquête de Tannie Maria

Autrice : Sally Andrew

Éditeur : Flammarion

Parution : 25/10/2017

Statut : Il s’agit du deuxième volume sur trois d’une série policière autour du personnage de Tannie Maria. Le premier tome, intitulé Recettes d’amour et de meurtre, est paru chez Flammarion en juin 2017 et le troisième, Death on the Limpopo, n’est pas encore traduit en français.

EAN/ISBN : 9782081376106

Résumé : « Est-ce que ça vous est déjà arrivé de vouloir quelque chose très fort ? À trop courir après, vous risquez de tomber sur autre chose que vous n’attendiez pas. C’est peut-être parce que j’avais trop faim d’amour que je me suis retrouvée avec un meurtre au menu. » Tannie Maria, chroniqueuse pour la rubrique « Recettes et conseils amoureux » de la gazette de son petit village situé dans la réserve du Karoo en Afrique du Sud, traverse une mauvaise passe. En plus du souvenir de son défunt mari violent qui la hante, le leader charismatique des Bushmen tombe raide mort sous ses yeux, empoisonné par une sauce à la ciguë après avoir gagné un combat juridique contre les Blancs d’Afrique du sud. Avec l’aide de son amie et collègue Jessie, et celle un peu forcée du séduisant inspecteur Henk Kannemeyer, elle se lance dans l’enquête pour retrouver le coupable, quitte à mettre les pieds dans le plat.

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire Vengeance sauce piquante?

C’est en flânant dans les rayonnages de la médiathèque de ma ville que je suis tombée sur ce roman qui m’a séduite pour plusieurs raisons. D’abord, sa couverture, que je trouvais originale et amusante : mêler cuisine et meurtre, ce n’est quand même pas banal! Ensuite, le cadre de l’enquête qui se déroule en Afrique du Sud, pays très peu représenté dans la masse de livres qui garnissent les rayonnages des bibliothèques et les étals des librairies. J’avais l’assurance d’un dépaysement complet vers un pays que je connais seulement à travers quelques noms : Nelson Mandela, apartheid, Neill Blomkamp, Oscar Pistorius, Johannesbourg, Charlize Theron, afrikaners. Autant dire que je ne sais rien de ce pays et de sa culture! Enfin, je n’avais jamais entendu parler de ce roman et de la saga Tannie Maria et je ne connaissais pas l’autrice non plus. Emprunter Vengeance sauce piquante me permettait donc de découvrir une nouvelle autrice et une nouvelle saga policière.

Une couverture originale et colorée pour un cosy mystery dont je n’avais jamais entendu parler, écrit par une autrice que je ne connaissais pas et se déroulant dans un pays peu représenté sur lequel je sais très peu de choses : bingo, c’est gagné!

Un style d’écriture particulier

La première chose qui m’a surprise dans ma lecture de Vengeance sauce piquante est la présence de nombreux termes afrikaners qui ne sont pas traduits. Écrits en italique dans le texte, ils sont en particulier omniprésents dans les premières pages du roman, ce qui m’a beaucoup perturbée au point que j’ai envisagé d’arrêter ma lecture. En effet, ces termes permettent de décrire le cadre de vie de Tannie Maria, qui vit dans une jolie maison située en plein Klein Karoo en Afrique du Sud. Beaucoup d’entre eux décrivent des éléments précis du paysage, de la maison ou encore de la cuisine locale, ce qui a provoqué chez moi une certaine frustration car du fait que je ne lis pas et ne parle pas l’afrikaners ou une langue approchante, les passages truffés de mots dans cette langue me sont restés incompréhensibles.

Heureusement, ce travers ne dure pas trop longtemps et l’autrice revient à un langage plus abordable qu’elle ponctue ça et là d’afrikaners mais pas au point que le sens soit impénétrable, comme au début du livre.

L’autre point important à souligner concernant le style est la présence des lettres que Tannie reçoit de la part des lecteurs de son journal et auxquels elle répond dans sa rubrique. Lettres et réponses figurent dans le roman, servant au choix de prétexte à explorer encore davantage la psyché de Tannie ou de respiration dans l’enquête. Je penche personnellement pour la première option, l’enquête n’occupant qu’une place accessoire comme vous le lirez plus loin.

Enfin, toutes les recettes mentionnées dans le roman figurent à la fin du livre, avec les quantités pour 6 personnes de mémoire. L’autrice nous invite ainsi à compenser la faim que peut provoquer la lecture de son roman (qui doit absolument être lu le ventre plein) en nous proposant de réaliser nous-mêmes le fameux gâteau Vénus qui a l’air d’être une tuerie, entre autres recettes!

Des personnages attachants mais sous exploités.

S’il y a bien un élément positif dans ce roman, ce sont les personnages qui sont hauts en couleur et attachants! Que ce soit Tannie Maria, son amant Henk, ses collègues Jessie et Hattie et tous les autres, ils ont en commun d’être très caractérisés.

Tannie est l’archétype de la victime de violences conjugales qui essaie de se reconstruire mais ne se laisse pas non plus définir par cela. Elle est forte malgré les apparences et parvient à cacher ses lourds secrets à son entourage, du moins jusqu’à un certain point. Elle accepte également l’aide qui lui est proposée par le garagiste-psychologue-chamane, comprenant qu’avouer sa faute (le meurtre de son mari) lui permettra de se libérer et de pouvoir aller de l’avant à la fois avec Henk et pour elle-même. Il est juste dommage que son obsession pour la nourriture soit aussi présente, mais c’est bien là le signe que l’autrice réussit à nous faire entrer dans le cerveau de Tannie!

Henk de son côté est très, voire trop protecteur envers elle, ce qu’elle a un peu de mal à accepter avant de comprendre qu’il a peur de la perdre comme il a perdu sa première femme et comme cela a failli se produire dans le premier tome. Il lui interdit de s’occuper de l’enquête mais finit par réaliser qu’elle y est mêlée malgré elle et que ses connaissances culinaires peuvent vraiment aider à résoudre le meurtre du leader des Bushmen. C’est un homme doux et compréhensif, l’exact contraire du précédent mari de Tannie semble-t-il. Ce côté trop lisse a fini par me déranger car il correspond vraiment à l’homme parfait!

Leur relation amoureuse est bien développée mais marquée par les complications psychologiques liées au blocage de Tannie concernant les violences perpétrées par son mari décédé. Ils arrivent à trouver un équilibre même si tout n’est pas rose non plus.

Enfin, les collègues de Tannie, Jessie la journaliste rebelle et Hattie la rédactrice en chef tirée à quatre épingles, apportent un peu de dynamisme dans le récit. Sans elles, et surtout sans Jessie, l’action et l’enquête n’avanceraient pas très vite. Une galerie de personnages complémentaires a été créée et certains ressortent, notamment quelques membres du groupe de parole comme Fatima (si je me souviens bien de son prénom) et la grecque dont j’ai pour le coup oublié le nom, mais ils sont pour beaucoup sous-exploités, ce qui est dommage.

Une enquête qui passe au second plan

Le meurtre sur lequel enquêtent Tannie et Henk est celui du leader charismatique des Bushmen, un peuple autochtone d’Afrique australe qui a été spolié de ses terres lors de la colonisation. Dans le roman, les Bushmen viennent de remporter un combat juridique face aux grandes entreprises blanches d’Afrique du sud : ils ont récupéré leurs terres ancestrales, ce qui ne satisfait pas forcément les dites entreprises. Le leader de ces Bushmen, dont j’ai complètement oublié le nom (encore un autre!), est empoisonné par une sauce trafiquée qu’il ingère lors d’un festival auquel assiste Tannie Maria et lors duquel elle lui est présentée.

Le contexte politique pourtant très intéressant est cependant relégué au second, voir à l’arrière plan car toute l’attention de l’autrice est concentrée sur la dimension psychologique du personnage de Tannie. Ses angoisses, compensées par ses fringales permanentes et son obsession pour la cuisine, viennent directement des évènements qui se sont déroulées dans le premier tome, Recettes d’amour et de meurtre, qui déjà semble être bien porté sur la cuisine.

Le problème ici est que la résolution de l’intrigue vient comme si l’autrice s’était subitement rappelée qu’elle avait une enquête à boucler. Tannie s’y retrouve ainsi mêlée malgré elle car le groupe de parole auquel elle a décidé de participer pour tenter d’évacuer ses peurs devient l’épicentre de la résolution de l’enquête. Sally Andrew place donc dans ce groupe le coupable du meurtre de l’enquête d’origine, relié au meurtre de l’un des membres du groupe, ce qui est certes pratique mais assez biscornu. Elle ajoute à cela une « enquête secondaire » menée par Jessie avec l’homme aux lapins dont je n’ai pas compris l’intérêt, à part apporter une note écologiste dans le roman, et des touches de surnaturel qui peuvent surprendre même si elles sont bien amenées. Le tout donne une sensation de fouillis qui ne m’a pas vraiment convaincue.

En clair, si vous recherchez une enquête policière haletante ou un cosy mystery détente, passez votre chemin. Vengeance sauce piquante n’est ni vraiment l’un, ni vraiment l’autre. C’est plus une analyse psychologique de l’héroïne, victime de violences conjugales et témoin (ou responsable?) du meurtre de son précédent mari, le tout servi avec d’innombrables recettes de cuisine permettant de distraire notre attention, tout comme celle de Tannie à laquelle nous nous identifions mieux.

Mon avis sur Vengeance sauce piquante

Le problème principal que j’ai rencontré sur cette lecture est que je n’avais pas lu le premier tome, qui est nécessaire pour comprendre les flash-backs de Tannie concernant son mari décédé. Toute la psychologie de Tannie est déterminée par ce qu’il se passe dans Recettes d’amour et de meurtre et clairement, cette lecture m’a manquée pour pleinement apprécier Vengeance sauce piquante. Il est possible de deviner certains évènements mais pas tout malheureusement.

Par ailleurs, j’ai eu du mal dans les premières pages avec les nombreux termes afrikaners qui figurent en italique mais ne sont pas traduits. Certes, cela permet de se plonger dans l’ambiance directement mais lorsque l’on a vraiment aucune idée de ce que la plupart de ces mots signifient, il faut arriver à faire abstraction de ce vocabulaire et accepter qu’on ne comprendra pas toutes les descriptions. Heureusement, la quantité de mots afrikaners baisse drastiquement dans la suite du roman, ce qui permet de comprendre l’action sans difficultés.

Enfin, je dois bien avouer que l’omniprésence de la nourriture et des questions culinaires dans les réflexions de Tannie a fini par m’ennuyer puis m’agacer. Elle passe son temps à manger, à penser à des idées de plats, à cuisiner et même son travail consiste à donner des conseils amoureux assortis d’une recette adaptée! Certes, ses recettes sont à tomber par terre, notamment le fameux gâteau Vénus que j’aimerais bien goûter un jour, et sont fournies à la fin du roman. Il est aussi clair qu’elle compense l’angoisse liée à ce qu’il s’est passé dans le premier tome par la nourriture mais que ce point soit constamment présent dans le roman est au final presque aussi lourd que les plats que Tannie cuisine. Enfin, un élément m’a dérangée dans les conséquences de ce travers : la visite de Tannie chez une nutritionniste qui la juge sur son poids et lui prescrit un régime sans s’interroger sur les causes de ses fringales. Le fait que ce jugement vienne d’une femme mince qui complexe Tannie de surcroît m’a dérangée, d’autant que le médecin homme qu’elle consulte plus tard dans le roman aura un avis bien plus nuancé et respectueux, arguant qu’elle est assez raisonnable et intelligente pour savoir que ses angoisses ne seront probablement pas résolues par un régime.

Pour résumer, Vengeance sauce piquante est un roman qui m’a surprise mais pas que dans le bon sens du terme. J’ai apprécié le cadre dépaysant, les personnages sont attachants mais il faudrait vraiment que je lise le premier tome pour voir si mon avis très mitigé pourrait évoluer vers quelque chose de plus positif. Il y aura de toute façon clairement pour moi le problème rédhibitoire de l’enquête policière reléguée au rang de prétexte à l’exploration du personnage de Tannie. C’est donc une lecture sympathique mais sans plus.

« Jane Eyre », de Charlotte Brönté

Présentation de l’œuvre

Titre: Jane Eyre

Autrice: Charlotte Brontë (traduction et préface par Henriette Guex-Rolle)

Éditeur: Éditions Rencontre Lausanne

Parution: 1960

Nombre de pages: 377

Résumé: Orpheline, Jane Eyre est recueillie à contrecœur par une tante qui la traite durement et dont les enfants rudoient leur cousine. Placée en pension, elle y reste jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Elle devient alors gouvernante pour le noble M. Rochester, dont elle tombe bientôt amoureuse. Mais la vie de cet homme ombrageux est entourée de tragique et de mystère et Jane tient à son indépendance.
Ce roman autobiographique est le chef-d’œuvre de Charlotte Brontë, qui tient une place à part dans la production féminine du XIXème siècle. Elle nous livre en effet un portrait de femme forte qui s’affranchit des contraintes et trouve l’amour et son égal après d’âpres luttes, le tout écrit avec une plume intemporelle et passionnée qui fascine toujours les lectrices et lecteurs du monde entier.

Qu’est-ce qui t’a poussée à lire « Jane Eyre » ?

Tout est parti d’une lecture commune organisée par Charlène du compte Instagram @des.livres.et.des.gens.heureux. Elle a proposé en décembre 2021 de lire Le journal de M.Darcy d’Amanda Granger qui a très vite débouché sur la lecture/relecture d’Orgueil et préjugés et de fil en aiguille, l’idée a germé de relire des classiques sur 2022, ce qui correspondait à l’une de mes envies pour cette nouvelle année. Jane Eyre est assez rapidement venu sur le tapis et a été choisi pour le mois de janvier. Comme je connaissais déjà l’histoire et que j’avais le roman chez moi, j’ai foncé!

Mais me direz-vous, « comment connaissais-tu l’histoire si tu n’avais pas lu le roman »? Il faut savoir que ma découverte de Jane Eyre est assez atypique!

J’ai en effet découvert le roman de Charlotte Brontë en premier lieu par l’adaptation cinématographique qu’en a faite Franco Zeffirelli avec Charlotte Gainsbourg et William Hurt qui sont pour moi les incarnations parfaites de Jane Eyre et Edward Rochester. Est-il bien utile alors de vous préciser que j’ai adoré ce film et le personnage de Jane elle-même à laquelle je me suis tout de suite identifiée? La présence du DVD sur la photographie en témoigne. Son indépendance d’esprit, son calme, sa répartie, sa passion maîtrisée, tout m’a plu chez elle. Mais curieusement, je n’ai jamais cherché à me procurer le roman ou à le lire à l’époque. Ce n’est que bien plus tard et complètement par hasard que je suis tombée chez ma libraire d’occasion, Christine d’Expression Livres, sur le bel exemplaire des Éditions Rencontre Lausanne que vous voyez en photo. Je n’ai pas hésité une seule seconde à l’acheter avec Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë que Christine possédait aussi dans la même édition. Je me suis dit à l’époque que ce serait de beaux livres à avoir et que l’occasion se présenterait bien un jour de les lire.

J’avais entre temps occupé plusieurs postes de professeure documentaliste qui m’ont permis de m’initier à la lecture de mangas, les adolescents en étant friands, et d’y prendre goût moi aussi. Sur les conseils d’une collègue et amie, j’ai découvert les éditions Nobi Nobi qui adaptent en mangas les grands classiques de la littérature. J’ai ainsi un jour trouvé l’adaptation de Jane Eyre dans les rayonnages de ma librairie : je l’ai acheté et lu tout de suite. J’ai donc vu le film et lu le manga avant de lire le roman!

Un groupe de lecture, plusieurs versions du roman

L’un des avantages des lectures communes de classiques comme celui de Charlotte Brontë est que, lorsqu’il n’y a pas d’édition commune imposée, on découvre la variété des éditions existantes en circulation et ornant les rayonnages des bibliothèques. Nous étions nombreuses à participer à cette lecture commune, environ une vingtaine de mémoire, et nous avions quasiment toutes des éditions différentes, la mienne étant une des plus anciennes.

Il semble toutefois que j’ai été une des rares à avoir une version aussi courte du roman. Les versions de mes compagnes de lecture comportaient au minimum le double de pages par rapport à la mienne et beaucoup d’entre elles ont trouvé la lecture pénible. Je pense donc avoir une traduction simplifiée et écourtée du roman, ce qui ne serait pas étonnant au vu de l’année de publication (1963). A cette époque en effet, les éditeurs se souciaient moins de coller au plus près du texte original, comme cela peut être le cas aujourd’hui. Je songe donc à me procurer la version originale en anglais de Jane Eyre, dans une jolie édition, afin de pouvoir comparer les récits et voir si la version d’origine correspond bien à mon ressenti de lecture sur la traduction française d’Henriette Guex-Rolle.

Un roman qui n’a pas pris une ride.

Une chose est sûre : j’ai dévoré mon exemplaire de Jane Eyre en quelques heures à peine et le « faible » nombre de pages n’est pas en cause! En effet, l’écriture, les personnages, les situations, tout peut être transposé de nos jours sans souffrir d’un manque de modernité. Le style de Charlotte Brontë est à mes yeux équivalent à celui de Jane Austen, l’ironie en moins cependant. Ces deux autrices anglaises du XIXè siècle ont en effet chacune une plume très dynamique, avec des phrases simples mais parfaitement ciselées pour peindre un paysage ou animer un personnage en quelques mots. Pas de lourdeur ou de formules alambiquées pour décrire les tourments de l’amour, pas de pathos exagéré pour bien montrer que Jane est une pauvre orpheline que la vie n’épargne pas. Charlotte Brontë préfère montrer tout cela simplement, à travers quelques épisodes structurants bien choisis et sans jamais en faire trop. Les quelques scènes de harcèlement par son cousin au début du roman sont en nombre juste suffisant pour que l’injustice que subit Jane soit montrée sans exagération, et le même procédé est répété tout au long du roman. Cette apparente simplicité associée à une justesse de ton présente dans tout le récit permettent une lecture fluide et agréable, malgré la lourdeur de l’histoire racontée et l’ambiance pesante qui règne sur Thornfield, le manoir de Rochester où Jane exerce comme gouvernante.

Des personnages et un couple modernes

Au vu des épreuves qu’elle traverse durant son enfance et sa prime jeunesse (la mort de ses parents, une tante et des cousins qui la détestent, un pensionnat insalubre où sa meilleure amie trouve la mort), Jane aurait pu être un personnage colérique et rebelle à toute forme d’autorité ou au contraire geignard et fataliste. Or, ce n’est pas le cas. Charlotte Brontë nous montre bien que Jane passe par l’étape de la colère lorsqu’elle est envoyée au pensionnat par sa tante et déclare à celle-ci qu’elle ne l’aime pas, ou encore lorsque le pasteur de Lowood l’humilie et la punit devant toutes ses camarades et enseignantes en la présentant comme une mauvaise personne. Cependant, Jane finit par comprendre, au contact de son amie Helen Burns puis de son enseignante Miss Temple, que la colère n’est pas utile et ne permet pas d’avancer. Elle garde toutefois un fonds de rébellion qui transparaît dans sa grande indépendance à la fois d’esprit et de style de vie, trait de personnalité qui m’a tout de suite plu chez elle. En effet, pas question pour Jane de trouver un mari dont elle dépendra pour vivre. Elle préfère travailler comme institutrice pour subvenir à ses besoins. De même, elle est lucide sur son statut de gouvernante pauvre, ce qui lui permet de garder les pieds sur terre lorsqu’Edward Rochester commence à montrer des signes d’attachement envers elle. Elle est également franche, honnête et a une grande force morale qui, malgré sa jeunesse et sa relative ignorance de la vie (elle a 18 ans lorsqu’elle est recrutée pour travailler à Thornfield), lui permet de résister aux supplications de Rochester lorsque celui-ci lui demande de rester après la révélation de l’existence de sa femme. Enfin, sa nature généreuse s’exprime pleinement lorsqu’elle découvre que les Rivers, qui l’accueillent après sa fuite de Thornfield, sont en réalité ses cousins et qu’elle a hérité de son oncle une somme confortable. Elle choisit de partager son héritage avec eux car la famille a plus d’importance à ses yeux que la richesse.

Edward Rochester, de son côté, est le second fils d’une famille noble. D’un caractère ombrageux, il séjourne peu à Thornfield, manoir dont il a hérité à la mort de son père et de son frère aîné. Il a une vingtaine d’années de plus que Jane lorsqu’ils se rencontrent et est le tuteur d’une petite fille, Adèle, pour l’éducation de laquelle Jane est engagée. Ce personnage au départ assez mystérieux finit par se dévoiler par petites touches, au fur et à mesure de ses interactions avec Jane qu’il provoque lui-même, celle-ci étant parfaitement consciente des limites de son rôle de gouvernante. Rochester passe ainsi par Adèle pour justifier leur première conversation, interrogeant Jane sur les progrès réalisés par l’enfant et en profitant pour la questionner sur son parcours. Son attitude vis-à-vis de Jane, que ce soit en tant qu’homme ou maître de maison au XIXème siècle, est assez ouverte d’esprit pour l’époque puisqu’il lui demande son avis sur de nombreux sujets, lui confie beaucoup d’évènements douloureux de sa vie passée, a en elle une confiance absolue, accepte qu’elle s’absente pour aller voir sa tante mourante et tient à ce qu’elle soit présente lors des soirées qu’il donne, même si le motif n’est pas très louable. Son plus grand tort est d’avoir caché son statut marital et d’avoir essayé de passer outre sans en avertir Jane elle-même. Il expie cette faute dans la douleur en perdant d’abord Jane qui refuse de devenir sa maîtresse, puis la vue, une main et son domaine dans l’incendie provoqué par sa femme elle-même, qui mourra à ce moment-là. Cette souffrance le met sur un pied d’égalité avec Jane, faisant à mes yeux de ce couple l’un des plus équilibrés qui soient dans la littérature.

Une relation toxique ? …

J’ai vu passer une courte vidéo selon laquelle la relation entre Rochester et Jane était toxique car il l’abandonnait sans lui dire où il allait (lorsqu’il est parti chercher la bonne société autour de Thornfield pour tenir réception), provoquait ensuite ses sentiments (donc la manipulait) pour qu’elle l’aime en retour et lui mentait sur un point crucial de sa vie, à savoir le fait qu’il est déjà marié. Personnellement, je n’adhère pas à cette vision qui réduit la portée du personnage de Jane, bien plus indépendante qu’il n’y paraît comme vu plus haut, et surtout néglige totalement le contexte de l’époque où se déroule cette romance.

En effet, au XIXè siècle, l’importance des classes sociales et de la fortune n’est pas à négliger, à la fois dans la façon de se tenir en société et dans la « fabrication » des couples, si je peux m’exprimer ainsi. On oublie trop souvent et trop vite qu’à cette époque, bon nombre de mariages étaient arrangés et que l’amour tenait peu de place dans ce que l’ont peut appeler des tractations conjugales. Ainsi, une famille noble mais désargentée pouvait forcer ses enfants à épouser les héritiers d’une dynastie moins bien née mais fortunée. Edward Rochester lui-même est victime de ce système : son père, trop avare pour partager sa fortune entre ses deux fils mais refusant d’avoir un fils pauvre, choisit de le marier avec l’héritière d’une riche famille de Jamaïque, Bertha Mason, sans se soucier de ce que souhaite Edward et sans même lui présenter sa future femme qui s’avère être une folle furieuse.

De la même façon, le statut d’une gouvernante était assez particulier car elles étaient considérées comme légèrement supérieures aux domestiques classiques dont elles pouvaient parfois venir renforcer les effectifs mais leur extraction sociale n’en faisaient pas pour autant une compagnie digne de la catégorie des maîtres car elles étaient souvent pauvres. Présenter Rochester comme un manipulateur de sentiments sans considération pour Jane est donc une analyse erronée qui ne tient pas compte du poids des conventions sociales de l’époque. Orpheline pauvre, Jane est la gouvernante d’Adèle, une enfant dont Rochester est le tuteur et dont il est possiblement le père, même s’il en doute fortement, comme il le dit à Jane. De son côté, Rochester est issu d’une famille noble et fortunée et est l’employeur de Jane. Dans la société corsetée du XIXè siècle, leur relation est tout simplement impossible. Jane ne peut pas s’autoriser à tomber amoureuse car les conventions sociales font qu’elle ne peut et ne doit pas voir Edward Rochester autrement que comme son employeur et lui-même ne peut se déclarer amoureux car elle est pauvre, de basse extraction et son employée.

Par conséquent, les quelques reproches de la vidéo que je mentionne plus haut s’expliquent facilement si l’on tient compte de ce contexte social. Jane n’est pas « abandonnée » par Rochester : elle n’a juste pas à recevoir d’explications de la part de son employeur sur ses allées et venues, elle est la gouvernante de sa pupille, pas son épouse. Ses sentiments ne sont pas « manipulés » par Rochester pour qu’elle tombe amoureuse de lui : elle est déjà sensible à son charme et à sa personnalité avant même ses manœuvres mais sa position de gouvernante lui interdit d’espérer quoi que ce soit et elle reste lucide, ce qu’elle répète à plusieurs reprises dans le roman. Rochester doit donc la « forcer  » à dévoiler ses sentiments pour lui car, si lui a plus de latitude pour se dévoiler (sa richesse et sa position sociale aident), elle ne peut absolument pas le faire. Il faudra d’ailleurs que Rochester aille jusqu’au bout de sa comédie, qu’il lui fasse une déclaration d’amour enflammée et qu’il la répète à plusieurs reprises pour qu’elle finisse par le croire, preuve s’il en est du poids du carcan social qui pèse sur elle. Enfin, le mensonge concernant le statut marital de Rochester relève plus de la trahison que de la manipulation, et il s’explique en partie par les circonstances du mariage arrangé par le père d’Edward.

… Oui, mais pas celle que l’on croit!

La seule relation toxique que j’ai trouvée dans ce roman est celle existant entre Jane et son cousin St John Rivers. Celui-ci est le clergyman d’une paroisse assez éloignée de Thornfield. Avec ses sœurs, il recueille Jane après sa fuite et lui trouve un travail d’institutrice dans le village voisin. Si Edward Rochester avait un ascendant sur Jane, il était dû à son âge et à sa plus grande expérience de la vie mais il ne lui faisait pas sentir qu’elle était inférieure. St John est d’une toute autre trempe : il cherche dès le départ à modeler le caractère de Jane pour en faire son épouse lorsqu’il partira comme missionnaire dans les Indes, son objectif de vie. Pour cela, il la force à apprendre des langues étrangères, passe beaucoup de temps avec elle pour vérifier ses connaissances religieuses et, lorsqu’il lui propose de devenir son épouse en lui expliquant de façon froide et clinique tout l’intérêt qu’il y trouvera, il n’accepte pas son refus pourtant argumenté et sa proposition alternative de partir avec lui en tant que sœur. Il exerce une pression psychologique sur elle en ne lui parlant plus après son refus, jouant ainsi avec son empathie, et revient à la charge à plusieurs reprises, traitant Jane comme une enfant récalcitrante. Même les sœurs de St John s’offusquent de son attitude butée.

Le personnage de St John est celui qui m’a le plus rebuté parmi toute la galerie présentée dans ce roman. Il représente l’essence même du religieux tellement enfermé dans sa logique de dévouement qu’il en oublie les fondements même de sa religion : l’altruisme et la bonté. Son attitude condescendante envers Jane et ses sœurs est typique de l’époque mais assez difficile à lire calmement aujourd’hui. Il n’acceptera jamais la décision de Jane de rejoindre et d’épouser Rochester et mourra en mission, seul.

Mon avis sur Jane Eyre : un diamant parmi les classiques

Jane Eyre fait désormais partie de ma short-list des meilleurs classiques de tous les temps, aux côtés d’Orgueil et préjugés, Raisons et sentiments et Autant en emporte le vent et je suis plus que ravie d’avoir enfin lu ce roman. C’est une œuvre brillante, magnifiquement écrite et qui n’a pas pris une ride. La relation entre Jane et Edward Rochester est l’une des plus égalitaires qui soit dans la littérature, avec un jeu de miroir saisissant entre les deux personnages : une Jane orpheline, pauvre et subissant des épreuves au début de sa vie puis trouvant fortune, position sociale, famille et amour face à un Edward riche et entouré qui traverse une série d’épreuves l’amenant à perdre sa fortune, ses amis et domestiques et Jane, l’amour de sa vie. Les deux se retrouveront sur un pied d’égalité en termes d’épreuves traversées, de position et de fortune à la fin du roman. Enfin, Jane est l’un de mes personnages littéraires favoris, avec Elizabeth Bennett, Marianne Dashwood et Scarlett O’Hara, toutes des femmes fortes qui arrivent à s’imposer malgré une époque qui leur est défavorable à tous points de vue.

Je ne peux donc que vous recommander de vous lancer dans la découverte de cette œuvre majeure de la littérature britannique du XIXème siècle!

« A tes côtés », volumes 1 à 8, de Megumi Morino

Présentation de la série

Titre : A tes côtés

Autrice : Megumi Morino

Éditeur : Akata éditions

Parution : Premier volume paru en VF le 11 juin 2020 – Dernier volume (n°8) paru en VF le 27 janvier 2022.

Statut : Série en cours au Japon.

Résumé : Quand un après-midi d’hiver enneigé, Hotaru tend son parapluie à Hanoï, un de ses camarades de lycée qui vient de se faire larguer, elle n’imaginait pas encore que c’était le début d’une nouvelle histoire. En effet, ce garçon de la classe d’à côté débarque le lendemain, pour lui faire une déclaration d’amour… alors qu’il ne la connaît pas vraiment. Déstabilisée, elle finit pourtant par accepter d’essayer de sortir avec lui jusqu’à Noël. Et si derrière des apparences trompeuses, la rencontre de ces deux-là était en réalité le fruit du destin ?

Qu’est-ce qui t’a poussé à lire ce manga?

Tout est parti d’une initiative d’Anne-Laure du compte @livresetreveries sur Instagram (coucou Anne-Laure si tu passes par ici!). Elle a proposé une lecture commune (LC dans le jargon des lecteurs sur les réseaux sociaux) de manga, ce qui est rare… très rare! Et comme j’apprécie beaucoup ce qui se fait rarement et que j’adore lire des mangas, j’ai validé ma participation. Son choix s’est porté sur A tes côtés, un shojo qu’elle nous a proposé de lire sur une semaine, du 24 au 30 janvier 2022. Cela tombait très bien, le 8è tome sortait le 27! J’avoue avoir été un peu dubitative d’apprendre que c’était un shojo, c’est-à-dire une romance, genre que je ne connais pas beaucoup et dont je ne suis pas forcément friande. Mais je suis toujours partante pour la nouveauté donc j’ai foncé!

Restait à résoudre la question de l’acquisition des 8 tomes que je n’avais pas chez moi et qui n’étaient pas disponibles en médiathèque non plus. Anne-Laure proposait de nous passer les versions numériques mais je préfère personnellement tourner les pages et me passer d’écrans quand je lis. Il se trouve qu’à ce moment-là, je travaillais en librairie et mes collègues avaient pour habitude (c’est toujours le cas!) d’emprunter les nouveautés pour les lire chez elles afin de pouvoir ensuite les conseiller. J’ai ainsi pu faire la même chose, c’est-à-dire emprunter les volumes de la librairie pour les ramener ensuite une fois lus. Et voilà!

Quelques petites précisions avant d’entrer dans le vif du sujet. Je vous livre ici une chronique globale sur les huit volumes de la série car je les ai lus à la suite les uns des autres sur une période très courte, ce qui a eu pour effet chez moi de mélanger un peu tous les tomes. Par ailleurs, l’évolution de l’intrigue est assez peu marquée d’un volume à l’autre. Cette présentation groupée évite les remarques redondantes sur le fonds et la forme.

Quelques connaissances de base sur le manga

Pour toutes celles et ceux qui ont déjà l’habitude de lire des mangas, vous pouvez sauter cette partie et aller directement à la suivante! Pour les autres, voici quelques clés pour comprendre cette BD très particulière et, pourquoi pas, commencer à vous initier à votre rythme à sa découverte en lisant A tes côtés (après tout, les blogs littéraires sont aussi là pour donner envie de découvrir d’autres horizons!). Attention, cette section ne prétend pas décrire tout l’univers du manga, qui est bien trop riche et mériterait à lui-seul un article qui viendra probablement enrichir ce blog incessamment sous peu. Il sert seulement à éclairer les lectrices et lecteurs curieuses.x sur ce support et à leur donner envie de franchir le pas en ouvrant leur premier manga!

Manga est le mot qui désigne les bandes-dessinées au Japon. Par dérive de sens, il en est venu à désigner en Occident les bandes-dessinées japonaises ou asiatiques respectant les codes de dessins japonais, c’est-à-dire un sens de lecture de droite à gauche (on commence donc un manga par la fin), des dessins en noir et blanc avec des personnages aux grands yeux expressifs, des décors souvent réduits à leur simple expression et un format de poche.

Au Japon, les mangas sont prépubliés par lots de chapitres dans des magazines dédiés qui sont lus un peu partout, comme les journaux gratuits distribués dans les transports en commun des grandes villes chez nous. Pour celles et ceux qui connaissent, le modèle est assez similaire au « Journal de Spirou ». Ces magazines étant nombreux et ayant des rythmes de publication variés, le choix des dessins en noir et blanc s’est imposé pour des raisons d’économie. Lorsqu’un manga rencontre le succès, il est alors publié en volumes sous la forme que nous connaissons et ses droits peuvent être achetés par des éditeurs étrangers intéressés. Nous n’avons donc accès qu’à une infime partie de la production de mangas du Japon!

En France, les mangas sont classés dans trois catégories principales : les shonen, les shojo et les seinen. Les shonen sont plutôt destinés aux jeunes garçons et allient humour et action dans des histoires plus ou moins longues : ce sont les Dragon Ball, Naruto et autre One Piece que vos enfants vous ont peut-être déjà réclamés ou que vous avez peut-être déjà remarqués dans les rayonnages de librairies tant ils prennent de la place (plus de 30 volumes)! Le versant adulte des shonen est le seinen, qui garde le côté action mais est plus sérieux et souvent plus violent : 20th century boys ou One Punch Man figurent parmi les seinen classiques. Enfin, les shojo mettent en scène des romances hétérosexuelles à destination des jeunes adolescentes et on parlera de josei pour la version adulte des shojo.

Ces catégories ne sont cependant pas imperméables et il en existe beaucoup d’autres, notamment pour qualifier les romances homosexuelles masculines (yaoi) et féminines (yuri). Concrètement, la classification en 3 catégories majeures existe surtout pour le côté pratique du rangement en librairie. En effet, certains mangas réunissent les caractéristiques des seinen et shojo en même temps, et les lectrices et lecteurs eux-mêmes ne sont pas forcément sensibles au classement par âge. Prenons A tes côtés qui est classé en shojo. Si j’avais suivi le classement, je n’aurai pas dû le lire car je ne correspond pas à la tranche d’âge : j’ai plus de 18 ans! Sauf que A tes côtés est aussi parfaitement adapté pour des adultes, la relation entre les deux personnages posant des questions universelles et très matures. Et ma collection de mangas contient principalement des seinen, dont je ne suis pourtant pas la cible, étant une femme!

En clair, que retenir de tout cela? Le manga est une BD japonaise en noir et blanc au format poche mais plutôt épaisse, qui paraît souvent en plusieurs volumes et se lit de droite à gauche, en commençant par la fin. Le classement utilisé en France permet aux acheteurs et lecteurs de retrouver plus facilement un titre mais n’est pas cloisonnant : un adulte peut adorer les shonen tout comme un adolescent les shojo. A tes côtés est ainsi un shojo qui peut être lu par un public adulte, féminin ou masculin, car sa thématique est très mature et pose des questions universelles sur les relations amoureuses.

Douceur, subtilité et complexité

Commençons par le début et surtout la base d’un manga : le dessin. Comme vous pouvez le voir sur les couvertures, le trait est épuré, fluide, léger et les couleurs claires et douces. Ces caractéristiques se retrouvent dans la totalité des tomes de la série. Megumi Morino transcrit toute la pudeur, la retenue et la douceur de la relation qui se construit entre Hotaru et Hanoï dans la légèreté de son trait de crayon et les différentes nuances de gris qu’elle utilise. On se sent enveloppé dans un cocon, d’autant que l’histoire elle-même est traitée avec beaucoup de subtilité.

On suit en effet la relation amoureuse entre une jeune lycéenne japonaise, Hotaru, et un lycéen un peu plus âgé qu’elle, Hanoï. Au fur et à mesure des volumes, elle s’intensifie mais tout en nuances et surtout, en respectant les codes culturels japonais, ce qui fait toute la différence avec une romance classique et rend ce manga encore plus intéressant à découvrir. En effet, des éléments qui nous paraissent complètement évidents dans une relation occidentale ne le sont pas du tout au Japon. Ainsi, le fait de se déclarer officiellement en couple est une étape capitale beaucoup plus engageante que chez nous car elle implique un certain nombre de gestes, d’attitudes et de possibilités qui ne sont pas envisageables sans ce statut officiel. Se tenir la main ou sortir ensemble en public, s’appeler par son prénom ou encore s’embrasser en public sont autant de signes d’un attachement profond au Japon alors que chez nous, ce sont des gestes presque banals que l’on fait sans se poser la question du sens à leur donner ou de l’interprétation que pourrait en avoir nos interlocuteurs. C’est la raison pour laquelle la période d’essai de couple entre Hanoï et Hotaru occupe les deux ou trois premiers volumes de la série et que celle-ci se poursuit encore malgré déjà huit volumes : leur relation se construit vraiment par petites touches subtiles, tout en douceur et en accord avec le dessin, comme souligné plus haut. La période d’essai demandée par Hotaru à Hanoï est d’abord prolongée puis laisse la place à plusieurs petits moments de couple qui font aussi écho dans la culture occidentale : la première sortie en amoureux, les déjeuners partagés, les premières activités ensemble, le premier baiser…

Des personnages et une histoire bien plus complexes qu’il n’y paraît

Cependant, A tes côtés n’est pas une énième bluette pour adolescentes en mal de romantisme, bien au contraire! Le tour de force de cette série est de questionner les fondements d’une relation de couple saine à travers les caractères de ses deux personnages principaux, assez diamétralement opposés. Hotaru est une jeune fille de 16 ans simple, terre-à-terre et altruiste qui n’est pas plus intéressée que cela par les relations de couple. Elle a même du mal à comprendre l’engouement de ses camarades pour l’amour et s’estime elle-même imperméable aux signaux amoureux classiques. C’est pourquoi elle est totalement surprise par la déclaration d’Hanoï, le jeune homme qu’elle a vu se faire larguer par sa petite amie dans le café où elle était avec une de ses amies. Le retrouvant par hasard à l’arrêt de bus, assis seul sous la pluie, elle s’avance spontanément vers lui et le protège avec son parapluie. Elle agit ainsi en ayant seulement en tête qu’il allait être trempé, sans arrière pensée romantique. Lorsque le lendemain de cet évènement, Hanoï vient dans sa classe et lui déclare devant tout le monde qu’il l’aime, elle analyse la situation froidement, avançant des arguments simples et évidents: il ne peut pas l’aimer puisqu’ils ne se connaissent pas! L’idée de la période d’essai vient d’elle, ce qui montre qu’elle est réfléchie dans ses actes tout en prenant en compte les souhaits des autres et en restant ouverte à de nouvelles expériences, tant qu’elle en contrôle un tant soit peu les conditions. A l’opposé, Hanoï est spontané, entier et très exclusif. Son attitude extrêmement protectrice envers Hotaru peut déranger dans les deux premiers volumes car il ressemble presque à un manipulateur mais assez rapidement, son caractère évolue au contact de Hotaru qui insiste sur l’importance du partage et l’amène peu à peu à se dévoiler et à « lâcher du lest ». On découvre ainsi la raison de son attachement maladif à toutes les filles qu’il a pu fréquenter jusqu’à Hotaru.

Mais ce qui rend cette série absolument géniale, c’est que l’on voit bien les deux personnages évoluer au contact l’un de l’autre petit à petit, au gré des expériences et sans que leur passé respectif ne servent d’excuse définitive à ce qu’ils sont. Le passé explique des traits de personnalité mais ceux-ci sont déjà en train de se transformer un peu, montrant par là qu’il est possible de changer sans se renier. Hotaru reste dévouée envers ses camarades et ne renonce pas à sa famille mais elle comprend l’importance pour Hanoï de passer du temps avec lui, l’accepte et l’intègre dans son quotidien. Elle applique son altruisme à Hanoï en acceptant un emploi étudiant dans une librairie, sachant qu’il lit beaucoup. Hanoï de son côté apprend à « partager » Hotaru avec ses amies en les fréquentant et en sociabilisant davantage avec ses pairs, sans pour autant renier son caractère assez ombrageux. Malgré quelques remarques, l’entourage d’Hotaru et d’Hanoï accepte la situation et les accepte tels qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts, d’autant qu’eux-mêmes n’en sont pas exempts. Il est d’ailleurs intéressant de voir la différence de relation entre Hotaru et Hanoï et leurs amis en couple! Enfin, les personnages secondaires servent eux aussi à aborder des problématiques de relations sentimentales : l’amour non partagé, l’amour virtuel, la jalousie, la peur… Le tout forme un panel d’êtres humains crédibles et attachants, dont les interactions ressemblent fortement à celles que nous pourrions avoir avec nos propres ami.es.s.

Mon avis sur a tes côtés : A découvrir d’urgence !

Vous l’avez probablement compris : j’ai adoré cette série! Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, ce n’est pas une romance banale entre deux lycéens comme on peut en lire par centaines dans les shojo. Megumi Morino nous propose ici une vraie analyse des sentiments humains et amoureux à travers deux personnages très attachants aux caractères opposés et une panoplie de personnages secondaires tout aussi intéressants. Avec tact et douceur, elle sème les étapes d’une histoire d’amour qui se construit petit à petit avec ses joies, ses peines parfois, ses obstacles à surmonter aussi et fait en sorte que ses personnages en sortent à chaque fois grandis. La finesse de son dessin vient renforcer la subtilité du récit qui ne tombe jamais dans la mièvrerie, piège classique des shojo. C’est pour cela qu’A tes côtés est une lecture tout public à mettre entre toutes les mains car les relations qui y sont décrites valent pour tous les âges et pour tous les genres. Cette série fournit des conseils bien plus précieux et concrets sur ce que doit et peut être un couple sain que tous les livres traitant du sujet!

Je vous recommande donc chaudement la découverte de ce manga, y compris pour débuter votre incursion dans l’univers de la BD japonaise!