« Ladies with Guns », d’Anlor et Olivier Bocquet

Présentation de l’œuvre

Titre : Ladies with guns

Auteurs : Anlor (dessinatrice), Olivier Bocquet (scénariste), Elvire De Cock (coloriste)

Éditeur : Dargaud

Parution : 14 janvier 2022

Statut : Premier volume d’une série sur laquelle on sait pour l’instant peu de chose.

EAN/ISBN : 9782205087338

Résumé : L’Ouest sauvage n’est pas tendre avec les femmes… Une esclave en fuite, une indienne isolée de sa tribu massacrée, une veuve bourgeoise, une fille de joie et une irlandaise d’une soixantaine d’années réunies par la force des choses. Des hommes qui veulent les maintenir en cage. Des femmes qui décident d’en découdre, et ça va faire mal. Ladies with guns est l’histoire de la rencontre improbable entre des femmes hors du commun refusant d’être des victimes. Un western iconoclaste et jubilatoire où rien ne vous sera épargné.

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire Ladies with guns?

J’ai tout simplement craqué sur le thème et la couverture! Quand j’ai vu les premiers posts sur Instagram de Dargaud qui le présentait comme un western au féminin, j’ai su qu’il me le fallait, d’autant plus que le graphisme correspond tout à fait à ce que j’aime en bande-dessinée : un dessin travaillé, le souci du détail et des couleurs chaudes.

Je n’étais cependant pas certaine que l’histoire me plairait et souhaitais donc la lire avant tout achat que j’aurai pu regretter après. Il se trouve que j’ai eu la chance à ce moment-là de pouvoir l’emprunter dans le cadre de mon CDD de libraire en janvier/février, ce qui me permet pour l’instant de remettre mon achat à plus tard, soit très exactement à la date de sortie du second volet!

Mon avis sur Ladies with guns

Sans égaler le dernier tome de Blacksad que j’ai lu en même temps, Ladies with guns est une bande-dessinée qui se défend très bien sur plusieurs plans, et un peu moins bien sur d’autres.

Visuellement, elle est difficile à décrire car le dessin est à la fois beau et repoussant. Je m’explique. Il y a dans le coup de crayon d’Anlor sur cette BD deux dimensions : la globale/macro et la particulière/micro. Le visuel général des planches est beau mais vous ressentez toujours comme un parasitage, un petit quelque chose qui dérange votre œil, un infime détail perturbant. Ce détail, vous le repérez en zoomant dans les cases de la page dont au moins une contient un élément bizarre, que ce soit dans les traits des personnages, le choix d’une couleur pour un décor ou un objet qui n’est pas à sa place. J’ai mis un peu de temps avant de repérer ces éléments « perturbateurs » que je suis peut-être la seule à ressentir comme tels, mais au bout d’une dizaine de pages, je n’y prêtais plus attention, étant happée par l’histoire qui est assortie à ce dessin bien particulier.

On pourrait s’imaginer à lire le résumé que Ladies with guns va être une énième histoire voguant sur la mode de la réécriture féministe d’univers jusque-là très masculins, le western dans le cas présent. Rien n’est moins vrai! L’important ici est que les cinq héroïnes sont soit issues de minorités, soit ne se conforment pas aux règles établies. Leur statut de femmes est « seulement » un facteur aggravant. Kathleen, la bourgeoise anglaise, perd son mari durant leur périple à travers l’Ouest américain pour rejoindre leur mine d’or mais elle refuse de se laisser intimider par les hommes qui l’accompagnent. Elle se procure une arme et n’hésite pas à s’en servir. Daisy est l’institutrice irlandaise retraitée d’une petite ville perdue dans l’Ouest américain. Crainte par le shérif et par les hommes en général, sa façon de vivre en recluse, sans mari ni enfants, dérange, d’autant qu’elle ne s’en laisse pas compter. Abigail, la jeune esclave noire, a été violée, battue puis vendue car elle s’est moquée de son maître lorsqu’il a voulu la prendre. Elle réussit malgré tout à se débarrasser de ses geôliers et à se cacher dans la forêt, dans sa cage fermée toutefois. Chumani l’Indienne, redoutable tireuse à l’arc, veut se venger de Kathleen qui a tué son frère, et des Blancs en général qui ont massacré sa tribu. Enfin, Cassie, la « pourvoyeuse de plaisirs » noire et cynique, garde encore une bonne part d’ombre mais révèle qu’elle s’est enfuie du bordel où elle travaillait pour échapper à sa condition de femme exploitée.

Ces cinq femmes n’ont donc pas grand chose en commun à part… leur statut de femme justement. Elles n’auraient jamais eu l’occasion de se retrouver sans le scénario d’Olivier Bocquet qui les fait se rencontrer dans des conditions assez délirantes, notamment dans les premières planches où Abigail, la jeune esclave enfermée dans sa cage, calme Kathleen et Chumani, sur le point de s’entretuer. Les trois femmes vont finir par s’entraider et trouvent refuge chez Daisy puis Cassie s’ajoutera dans l’équation un peu plus tard, grâce à la magie d’une couverture sur un chariot. Cependant, les conditions de leur rencontre pèsent finalement peu par rapport aux questions que soulèvent chacune de leurs histoires personnelles. L’esclavagisme pour Abigail, l’extermination des Indiens pour Chumani, la prostitution pour Cassie, la condition de la femme seule et étrangère dans l’Ouest américain, qu’elle soit veuve comme Kathleen ou vieille fille comme Daisy : tous ces thèmes apparaissent en filigrane par flashbacks et démystifient la conquête de l’Ouest telle qu’on la connaît, en en montrant les aspects plus déplaisants et sombres. Ladies with guns n’est pas seulement un western féministe, c’est aussi l’histoire de la conquête de l’Ouest et celle de l’Amérique montrée sous un jour moins glorieux mais plus réaliste.

Si on retrouve bien tous les codes du western dans Ladies with guns, avec une attaque de chariots de pionniers par des Indiens ou des cow-boys fatigués jouant aux cartes dans un saloon sous les yeux d’une mère maquerelle blasée, ils sont ici tournés en ridicule par le scénariste qui en joue pour valoriser ses héroïnes. Les hommes en prennent pour leur grade car pas un n’a de qualités : ils sont couards, faibles, vicieux, idiots ou méchants. Le shérif est ainsi un jeunot pas très doué et vraiment pas courageux, terrorisé par Daisy qui a été son institutrice ; l’épicier est aussi aimable qu’une porte de prison et les hommes de main sont globalement peu malins. Tous ont en commun de se sentir effrayés par ces cinq femmes qui ne jouent pas selon les règles habituelles. Elles ne rentrent pas dans les cases prévues pour elles donc il faut leur faire comprendre, par la violence tant qu’à faire, le rôle de femmes dociles à leur service qu’elles doivent tenir. Sauf que la réaction des hommes est disproportionnée par rapport à la gravité de ce qui leur est reproché et les femmes elles-mêmes n’avaient pas prévu cette escalade. La BD se termine sur une scène à couteaux tirés d’anthologie qui occupe bien une dizaine de pages, où Anlor se fait plaisir et nous plonge dans la bataille visuellement en déstructurant les cases habituelles de la BD. La fin du volume propose une ouverture appelant clairement une suite, les fameuses affiches « Wanted » étant placardées pour chacune de nos cinq héroïnes.

Conclusion – Une très bonne bande-dessinée mais il manque un petit truc.

J’ai passé un excellent moment avec les personnages et l’univers créés par Anlor et Olivier Bocquet mais il manque à mes yeux ce petit quelque chose qui aurait fait basculer Ladies with guns de très bonne bande-dessinée à coup de cœur. Pour moi, les personnages sont peut-être un peu trop caricaturaux et le récit manquait un peu de profondeur au niveau de ses héroïnes dont toutes les histoires ne sont pas exposées mais comme un volume 2 est probablement en route, je réserve mon avis définitif sur la série pour le jour où la suite sortira!

En attendant, si vous aimez les westerns et les surprises, je ne peux que vous conseiller la lecture de cette BD graphiquement originale, au scénario surprenant mais cohérent malgré tout et qui sort des sentiers battus!

« BlackSad 6 – alors tout tombe – Première partie », de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido

Présentation de l’œuvre

Titre : Blacksad 6 : Alors tout tombe – Première partie.

Auteurs : Juan Diaz Canales (scénariste) et Juanjo Guarnido (dessinateur)

Éditeur : Dargaud

Parution : 1er octobre 2021

Statut : Sixième volume de la série Blacksad, bande-dessinée espagnole qui met en scène des animaux anthropomorphes dont le héros, John Blacksad, est un chat détective privé. Il paraît presque 8 ans après le précédent tome et sera suivi d’un deuxième volet dont la parution est prévue en 2023.

EAN/ISBN : 9782205078046

Résumé : Chargé de protéger le président d’un syndicat infiltré par la mafia à New York, John Blacksad va mener une enquête qui s’avèrera particulièrement délicate… et riche en surprises. Dans cette histoire pour la première fois conçue en deux albums, nous découvrons à la fois le quotidien des travailleurs chargés de la construction du métro dans les entrailles de la ville, mais également la pègre et le milieu du théâtre, contraste absolu entre l’ombre et la lumière, le monde d’en bas et celui d’en haut incarné par l’ambitieux Solomon, maître bâtisseur de New York. Le grand retour de la série star de la bande dessinée !

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire BlackSad 6?

J’ai découvert cette série il y a deux ans chez ma meilleure amie qui possédait tous les volumes. Ne m’y étant jamais intéressée, je ne savais pas trop de quoi elle parlait : je me suis donc lancée sans à-priori et quelle surprise! J’ai été happée à la fois par les scénarii très travaillés, la finesse du dessin et la beauté des couleurs. Cependant, comme je manque de place chez moi pour stocker des BD et que la série avait l’air à l’époque gelée, je ne me suis pas précipitée pour l’acheter, au point que je ne l’avais toujours pas chez moi lorsque la parution du tome 6 a été annoncée. Heureusement, j’ai pu emprunter tous les volumes en médiathèque en octobre dernier afin de me rafraîchir la mémoire, en prévision de la lecture du nouveau tome qui sortait en novembre. J’avais décidé que selon mon ressenti à la lecture de celui-ci, j’achèterai ou pas la série ensuite. J’ai profité de mon CDD de libraire en janvier 2022 pour emprunter le volume 6 et clairement, il a fait pencher la balance en faveur d’un achat complet de la série à terme!

Petite rétrospective de la série.

Pour celleux qui ne connaissent pas, Blacksad est une bande dessinée mettant en scène des animaux anthropomorphes dans l’Amérique sombre de la fin des années 1950. Elle tient son nom de son héros, John Blacksad, un chat de gouttière détective privé taiseux, solitaire et désabusé, qui joue autant de ses poings que de son charme pour avancer dans ses enquêtes.

Le premier tome, Quelque part entre les ombres, est sorti en 2000 et a connu un succès public et critique immédiat avec son scénario de vengeance et d’amour perdu présentant tous les codes du polar noir, avec un John Blacksad qui enquête sur le meurtre de son premier amour, Natalia Wilford. Les deux créateurs, Juanjo Guarnido et Juan Diaz Canales, peaufinent leur création dans des suites qui paraissent à intervalles plus ou moins réguliers et traitent des thèmes politiques et sociaux qui ont réellement secoué l’Amérique des années 1950-1960. On trouve ainsi abordés le racisme dans Arctic Nation (2002) ainsi que le maccarthysme et la chasse aux communistes dans Âme rouge (2005). Les deux tomes suivants, L’enfer, le silence (2010) et Amarillo (2013), se déroulent à La Nouvelle-Orléans et sont plus axés sur la culture américaine. Le premier fait enquêter John Backsad dans le milieu du jazz et des drogues dures où il doit retrouver la trace d’un pianiste très connu en son temps, Sebastian « Little hand » Fletcher. Le deuxième se penche sur la « Beat generation« , mouvement artistique et littéraire représenté par Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William S.Burroughs, représentés sous formes animales par Guarnido.

Il faudra attendre huit années pour que les deux créateurs, pris par leurs autres projets (les illustrations des Indes fourbes et le clip Freak of the Week du groupe suédois Freak Kitchen pour Guarnido, la résurrection de Corto Maltese dans trois albums et la création ses propres BD Au fil de l’eau et Gentlemind pour Diaz Canales), se retrouvent enfin autour de Blacksad! Pour le retour du chat détective privé, ils ont imaginé une aventure en deux parties autour de l’urbanisation galopante du New York des années 1950, qui s’opérait au détriment des transports en commun. Les figures de Jimmy Hoffa, célèbre représentant du syndicat des camionneurs dans les années 1950, et Robert Moses, urbaniste controversé de la Grosse Pomme de la même époque, ont directement inspiré deux des personnages que l’on retrouve dans cette première partie de Alors tout tombe, dont la suite est prévue pour 2023.

Un retour aux sources

Bien que toujours d’excellente qualité graphique, le dernier tome de Blacksad paru jusque-là, Amarillo, est considéré comme le plus faible de la série. Il est vrai que l’action y est assez décousue et l’intrigue plutôt légère par rapport aux autres volumes, John devant simplement conduire une voiture d’un point A à un point B à la demande d’un riche texan, voiture qu’il se fait piquer dans une station service par deux écrivains beatniks qui finissent par s’affronter, l’un tuant l’autre. Ajoutez à cela que son comparse et faire-valoir, le journaliste Weekly, le quitte au début de l’histoire pour rentrer à New York alors que John reste à la Nouvelle Orléans avant de se lancer dans une sorte de road trip à travers quelques états américains pour retrouver la voiture et l’assassin et vous obtenez quelques clés qui peuvent expliquer cet avis négatif.

Rien de tout cela dans Alors tout tombe. John est de retour à New York, où on le voit apprécier une pièce de théâtre en plein air avec Weekly au début du volume, dans des planches absolument sublimes. L’histoire mêle habilement plusieurs intrigues concernant le milieu du théâtre, celui des ouvriers du métro et de leur syndicat ainsi que les hautes sphères politiques de la ville favorables à une urbanisation galopante au nom du progrès et au détriment des transports en commun. L’univers sombre, les machinations politiques, les meurtres sont de retour aussi, de même que les réflexions en filigrane sur la société américaine de l’époque, transfigurée par le zoomorphisme cher à Guarnido.

Enfin, la chute de ce sixième volume est à la fois un appel du pied pour la suite et un immense cliffhanger pour les fans de la première heure mais je ne peux décemment pas vous en dire plus ici, le spoiler serait beaucoup trop énorme! Cela vous fera donc un premier prétexte pour vous procurer cette BD et la dévorer. Car oui, le scénario et sa chute ne sont que les premiers éléments qui vont vous faire craquer et foncer lire ce tome en urgence!

Un graphisme spectaculaire

Le coup de crayon de Juanjo Guarnido sur Blacksad s’est affiné avec le temps et plusieurs de ses planches sont d’une beauté à couper le souffle, quel que soit le volume considéré. Ayant travaillé pendant plusieurs années dans l’animation pour les studios Disney, il en a gardé un certain nombre de caractéristiques qui ont directement influencé la construction et le graphisme de l’univers de Blacksad. Zoomorphisme, perspectives, musculatures, mouvements des corps, choix des couleurs, détails aquarellés, précision des visages, richesse du bestiaire : l’immense talent de Guarnido s’exprime dans sa pleine mesure et vient sublimer les scénarii et les personnages de Diaz Canales dans un accord parfait. Blacksad n’est pas juste une bande-dessinée mettant en scène un chat humanisé dans une Amérique réinventée : c’est une œuvre d’art perpétuelle qui confirme le statut de neuvième art octroyé à la BD.

Dans Alors tout tombe, le talent de Guarnido explose encore et atteint un degré de sublime vertigineux. Toutes les planches sans exception sont de purs bijoux de graphisme, notamment celles qui prennent une pleine page et il y en a quelques unes. La planche où John Blacksad, en bras de chemise et infiltré parmi les ouvriers du métro, porte des barres de fer est un vrai chef d’œuvre visuel. Le choix des couleurs, le détail et la finesse des traits, les jeux d’ombre, tout est travaillé avec minutie mais aucun dessin n’est froid ou clinique : vous ressentez en voyant les planches et les cases l’atmosphère poisseuse du métro, les tensions, la peur, la mégalomanie des uns et la détresse des autres.

Je suis pour ma part très sensible à ce type de graphisme, fourmillant de mille et un détails, coloré, vivant. L’extrait que vous voyez ci-dessous est l’un de ceux qui m’ont le plus marquée par la richesse des jeux d’ombre et le passage en quelques cases d’un monde très coloré à un univers bicolore, le tout sans que cela ne choque l’œil car l’histoire suit. John passe de la lumière et l’agitation du progrès (la ville, ses gratte-ciel, la manifestation) à l’obscurité et au calme relatif des tunnels du métro.

Planche extraite de Blacksad tome 6, Alors tout tombe, première partie, de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido – Dargaud, 2021.

DEs personnages complexifiés

Si l’on sait peu de choses sur John Blacksad à travers les volumes de la série, son côté énigmatique et taiseux lui apporte une profondeur qui est encore renforcée par le contraste qu’il offre avec Weekly, la fouine journaliste qui lui sert de comparse et faire-valoir. Et c’est ce personnage jusque-là peu exploité qui prend une nouvelle dimension dans Alors tout tombe. Pour commencer, on le voit enfin évoluer seul, sans John à ses côtés pour justifier sa présence. Il est également représenté sur son lieu de travail, chose rare, voire inexistante, et n’est plus seulement là pour faire rire. Il a même quelques scènes très sérieuses. Enfin, il est accompagné d’une jeune femme, journaliste indépendante, qui va lui faire reconsidérer son métier.

Son travail de journaliste est en effet remis en question sur deux fronts : par le nouveau patron de son journal à sensation qui veut des articles plus fouillés, et par cette jeune femme qui a une approche beaucoup plus littéraire du métier. Cela l’amène à se questionner et à s’engager dans une voie journalistique qui ne semble pas lui convenir. Il est donc très intéressant de voir le comparse de John prendre enfin un peu d’épaisseur et devenir plus qu’un faire-valoir rigolo.

La galerie des personnages secondaires est également d’une richesse impressionnante. De la directrice de la compagnie de théâtre au président du syndicat des ouvriers du métro en passant par Solomon, le faucon qui dirige les opérations d’urbanisme de New York, tous sont finement ciselés, que ce soit sur le plan graphique ou psychologique. Comme toujours dans cette série, le zoomorphisme est adapté aux caractéristiques des personnages : un journaliste (la fouine Weekly), un détective qui s’attire toujours des ennuis (le chat noir Blacksad), un ambitieux (le faucon Solomon), une directrice de théâtre qui ne se laisse pas faire (un lama)… Les parallèles sont intéressants!

Enfin, sans dévoiler quoi que ce soit, je peux au moins vous dire que le cliffhanger final repose sur un personnage important de la série et qu’il mérite à lui seul la (re)lecture de toute la saga!

Conclusion – Peut-être le meilleur Blacksad à ce jour!

Je conclurai cet article en vous disant que ce nouvel opus de Blacksad est largement à la hauteur des huit ans d’attente! Le duo Diaz Canales – Guarnido est revenu avec ce qui est à mes yeux pour l’instant le meilleur volume de Blacksad, tant graphiquement que scénaristiquement. Les personnages, les planches, les intrigues, tout est parfait… ou presque : il manque encore Alors tout tombe – Deuxième partie! Vivement 2023!

Si vous n’avez jamais lu cette bande-dessinée et que vous aimez les ambiances polars, je ne peux que vous recommander de découvrir cette série atypique qui est aussi un pur régal pour les yeux.

« Lore olympus » volume 1, de rachel smythe

Titre : Lore Olympus, volume 1

Auteur : Rachel Smythe

Éditeur : Hugo BD

Parution : 6 janvier 2022

ISBN/EAN : 9782755693249

C’est quoi l’histoire, en deux phrases ?

Perséphone, jeune déesse naïve en formation, assiste à sa première fête dans l’Olympe, le royaume des Dieux. Elle y rencontre Hadès, le Dieu des Enfers : le charme opère mais leur histoire connaît des débuts… compliqués.

Qu’est-ce qui t’a poussé à lire ce livre?

A priori, rien ne me destinait à lire un jour cette BD : je ne connaissais pas la série Webtoon dont elle est directement issue, le graphisme et les couleurs ne m’interpellaient pas non plus et quand je vais en librairie, y compris en librairie spécialisée, je traîne beaucoup plus du côté des romans et des mangas que de la bande-dessinée pure et dure. Mais lorsqu’on fréquente la planète Bookstagram, il devient difficile d’ignorer les sorties phénomènes, et Lore Olympus était l’une des premières de 2022. Je dirai même qu’elle a inauguré le bal!

J’appelle « sortie-phénomène » un livre que vous voyez passer sur plusieurs comptes d’influenceuses et influenceurs littéraires sur un laps de temps plus ou moins resserré, aux environs de sa sortie officielle en librairie. Il n’est pas forcément encore lu ni même chroniqué par celleux qui le reçoivent mais vous le voyez mis en scène en photo sur plusieurs comptes, ancrant inconsciemment chez vous l’idée que ce livre va sortir, qu’il est déjà populaire et donc qu’il vous le faut/faudra ;-)!

J’avoue donc humblement avoir en partie cédé aux sirènes de Bookstagram, mais pas seulement. Mon amour et ma fascination pour l’histoire et la mythologie grecques expliquent aussi ma curiosité face à cette réécriture moderne du mythe de Perséphone. Je voulais savoir comment l’autrice s’était débrouillée pour moderniser et populariser à ce point cette légende qui ne figure pas parmi les plus légères ni même les plus connues du répertoire grec, j’y reviendrai plus tard. Enfin, j’ai tout simplement eu la possibilité d’emprunter cette BD dans le cadre du poste de libraire que j’occupais à ce moment-là : comment ne pas résister?

Influence de groupe, curiosité intellectuelle et opportunité professionnelle : voilà donc le cocktail qui m’a fait découvrir Lore Olympus!

Le mythe originel de Perséphone et hadès.

Comme je le disais plus haut, l’histoire de Perséphone et Hadès n’est pas, et de loin, la plus joyeuse, la plus belle ou même la plus connue. J’ai fait cinq ans de grec ancien, trois ans de grec moderne et choisi l’histoire de l’Antiquité en option majeure en licence d’histoire, j’ai également enseigné l’histoire et la littérature et je peux vous assurer qu’Hadès, le dieu des Enfers grecs, n’apparaît presque jamais dans les classiques de la mythologie. Pourquoi un tel désamour me direz-vous? Si je devais me hasarder à émettre une hypothèse, je dirai que l’omnipotence et l’omniprésence de Zeus, le dieu des dieux de l’Olympe, laissent peu de place aux autres, surtout s’ils sont discrets. Vous entendrez ainsi beaucoup parler des divinités olympiennes versant dans l’excès comme Héra, l’épouse officielle de Zeus, maintes fois trompée par lui et qui exerce sa vengeance sur les conquêtes de son mari et sur lui-même à plusieurs reprises de façon violente, Arès, dieu de la guerre et du carnage ou encore Dionysos, dieu du vin, de la fête et des excès mais très peu d’Hestia par exemple, déesse du foyer, qui n’a jamais pris parti dans les combats entre dieux.

Mais revenons au mythe originel de Perséphone et Hadès qui, comme toute les histoires de la mythologie grecque, ne fait pas dans la délicatesse. L’inceste et la violence sont monnaie courante chez ces dieux de l’Olympe qui n’hésitent pas à enlever, tromper, violer ou tuer tout être humain ou divin qui suscite un tant soit peu leur intérêt. Pourquoi est-ce que je vous précise cela? Tout simplement parce que notre Perséphone est la fille de Zeus et Déméter, déesse des Récoltes, qui sont frère et sœur, et qu’elle est enlevée par Hadès, dieu des Enfers et également frère de Zeus et Déméter! En clair, Perséphone est née d’une relation incestueuse entre un frère et une sœur divins et est enlevée par son oncle tout aussi divin qui la force à l’épouser car il en est tombé amoureux de la façon la moins naturelle qui soit.

En effet, en tant que gardien des Enfers, Hadès est chargé de vérifier que les Géants ensevelis sous terre par les dieux lors de la guerre appelée Gigantomachie ne puissent jamais s’échapper. Mais ces Géants ont une force colossale et cherchent à se libérer en provoquant des tremblements de terre et en faisant ressortir leur souffle par les cratères de l’Etna et du Vésuve. Leur agitation oblige Hadès à quitter son royaume souterrain pour inspecter la Terre et vérifier qu’aucune brèche n’est apparue. Son arrivée est remarquée par Aphrodite, déesse de l’Amour, qui trouve son attitude trop arrogante, sans raison particulière. Contrariée, la déesse décide de lui faire connaître les tourments de l’amour et ordonne à Éros de décocher une de ses flèches magiques. Hadès est atteint en plein cœur et voit au même moment Perséphone cueillir une fleur à l’endroit où il se trouve : il tombe ainsi amoureux d’elle. Pour résumer, l’amour d’Hadès pour Perséphone est issu du caprice et du jugement à l’emporte-pièce de la déesse de l’Amour. Vous comprenez mieux pourquoi j’étais curieuse de découvrir comment l’autrice s’était débrouillée pour transformer ce mythe en une histoire accessible au grand public!

La suite de l’histoire n’est pas forcément plus sympathique! Hadès, fou amoureux, demande la main de Perséphone à son frère Zeus, qui est donc aussi le père de la jeune fille. Celui-ci, connaissant l’amour inconditionnel que porte Déméter à sa fille unique, reste neutre : il n’accorde pas sa main mais ne la refuse pas non plus. Hadès prend cette position pour un accord tacite et enlève donc Perséphone qu’il épouse contre son gré et amène avec lui au royaume des Enfers. Déméter, constatant la disparition de sa fille chérie mais ignorant qui en est responsable, quitte l’Olympe et parcourt la Terre à sa recherche, laissant les récoltes à l’abandon. Hélios, le dieu du Soleil, finit par lui révéler l’information qu’elle convoite. Furieuse contre Zeus qui n’a pas empêché cet enlèvement et déterminée à récupérer sa fille, Déméter menace de quitter définitivement l’Olympe si Perséphone ne lui est pas rendue. Conscient de ce que cela implique pour les mortels et pour les dieux (la fin des récoltes et donc la mort des humains qui leur vouent un culte), Zeus dépêche Hermès, le messager des Dieux, auprès de son frère pour lui faire savoir qu’il doit rendre Perséphone. Hadès y consent sous réserve que sa femme n’ait pas encore goûté la nourriture du royaume des Morts. Or, il parvient à lui faire avaler par la ruse six grains de grenade avant son départ. Zeus est alors contraint de céder : Perséphone passera six mois de l’année avec sa mère sur Terre et les six autres mois avec son époux sous terre. Ce compromis fonctionne et explique la saisonnalité des cultures : quand Perséphone est avec sa mère, les plantes poussent (printemps et été) et quand elle rejoint son mari sous terre, la nature meurt (automne et hiver).

Avec le temps, Perséphone s’habitue à son double statut et devient une bonne épouse pour Hadès qui lui est fidèle. Mais il ne faudrait pas croire que la jeune déesse ne fait que subir son sort ou n’est que faiblesse. Elle a pris un amant en la personne d’Adonis et dut le partager avec Aphrodite qui avait elle aussi des vues sur lui et la seule fois où son mari montra de la tendresse pour une autre femme (la nymphe Minthe en l’occurrence), Perséphone la transforma en végétal : la menthe. Le mythe n’explique pas la recette du mojito ceci dit ;-)!

La réécriture du mythe par Rachel smythe

C’est en ayant tout cela à l’esprit que j’ai entamé ma lecture de Lore Olympus. Rachel Smythe parvient à retranscrire en partie l’ambiance assez glauque du mythe d’origine. Les couleurs sont sombres, les dieux capricieux, l’ennui et le vice transparaissent dans certains détails de l’histoire ou dans les caractéristiques de certains personnages. Dans son entreprise de modernisation du mythe, l’autrice a rajeuni tous les dieux de l’Olympe, simplifié les liens familiaux entre eux (exit Hadès oncle de Perséphone!) et transposé toute l’histoire dans un univers très business, où les dieux sont des PDG. Le tout est bien amené et reste crédible.

J’ai eu beaucoup plus de mal avec… tout le reste en fait. Pour commencer, je n’ai pas du tout accroché avec le graphisme. J’ai des goûts assez variés en BD : cela va de Gaston Lagaffe aux Vieux fourneaux en passant par les Tu mourras moins bête de Marion Montaigne ou les Silex and the city de Jul. Les crayonnés de ces séries sont très différents et je ne saurai dire ce qui me fait craquer pour un type de dessin et pas un autre, à part peut-être le souci du détail et des couleurs que je n’ai pas retrouvé dans cet ouvrage. La présentation interne de Lore Olympus donne la sensation d’hésiter entre la bande dessinée classique et le roman graphique et le constant jeu sur trois nuances de couleurs (celles que vous voyez en couverture) m’a vite lassée.

Au-delà de la forme de la BD, je dois aussi avouer que le contenu m’a dérangée à plusieurs niveaux. Pour commencer, j’ai trouvé que l’intrigue était très légère pour un premier volume. Il se passe au final assez peu de choses pour un livre aussi gros : on a tout de même entre les mains un beau bébé d’1,1kg! Les scènes sont parfois décousues et certaines ne sont pas très compréhensibles comme celle de la pousse des cheveux de Perséphone pendant son sommeil. Peut-être faut-il être familier de la série Webtoon pour comprendre?

Ensuite, la réécriture quasi complète du personnage de Perséphone, pensée à l’aune du féminisme et de la femme conquérante propre à notre époque tout en gardant un côté naïf, gentil et très sexualisé, m’a gênée pour deux raisons.

La première, c’est que l’essence même du personnage et du mythe est trahie. Perséphone est une déesse qui subit globalement son sort et est assez transparente à l’origine. La transformer en conquérante de l’indépendance féminine n’a tout simplement pas de sens! D’autres déesses se seraient mieux prêtées à cette incarnation, comme Artémis, Héra ou surtout Déméter, la mère de Perséphone. Ou alors, il aurait fallu prendre le contrepied total de cette personnalité et la rendre complètement rebelle à toute forme de domination, qu’elle soit masculine ou féminine. Garder son côté innocent tout en essayant d’en faire une jeune femme qui se veut indépendante et sérieuse ne fonctionne pas pour moi. Par ailleurs, que ce soit Perséphone ou Hadès, aucun des deux ne tombe amoureux de l’autre naturellement, comme vous l’avez lu plus tôt. Transformer en jolie romance ce qui est à l’origine une relation forcée est certes intéressant, mais totalement mensonger. Vous me direz que Walt Disney a bien fait pareil avec la plupart des contes connus et je vous répondrai que vous avez parfaitement raison:Lore Olympus est donc la version « disneyesque » du mythe de Perséphone et Hadès!

Le second point qui m’a dérangée est le contraste entre la naïveté de Perséphone, sa représentation très sexualisée et son attitude vis-à-vis des hommes. Cela ramène au cliché de la jolie blonde écervelée inconsciente de l’effet qu’elle produit qui a fait le bonheur du cinéma hollywoodien des années 1950 et le malheur des actrices qui incarnaient ce stéréotype. La première scène où elle apparaît et renverse (ou se fait renverser) un liquide quelconque sur sa mini robe pendant qu’Hadès et ses frères l’observent d’en haut est d’une malaisance… Je pensais vraiment qu’on était passés à autre chose en 2022.

Enfin, les personnages sont tous définis par un seul trait de caractère poussé à l’extrême, ce qui les rend au final creux. Perséphone est naïve et gentille au point d’en paraître godiche, Hadès est encore plus tourmenté et ténébreux qu’Edward dans Twilight, Artémis ne sert à rien (ce qui est bien dommage) à part mettre en valeur Perséphone et introduire son frangin Apollon dans l’histoire, ce dernier est un bellâtre qui ne comprend pas le mot « non » (pas merci pour la plus ou moins scène de viol à la fin), Éros est le cliché de l’homosexuel totalement efféminé (au secours!!) et ainsi de suite…

Pour conclure : Mon avis sur Lore Olympus

Vous l’avez deviné, je n’ai pas été emballée par cette lecture pour des raisons de fonds et de forme qui me sont propres et qui ne vous correspondront peut-être pas. Ce ne sera pas non plus une déception car je ne m’attendais à rien de particulier. Lore Olympus sera juste une lecture qui me laissera un arrière-goût un peu plus désagréable qu’une autre. Je ne pense pas que je l’oublierai car la réécriture du personnage de Perséphone m’a dérangée dans le sens où elle ne correspond pas à la signification du mythe d’origine. Si elle avait été transformée en jeune femme rebelle qui envoie balader sa mère et Hadès pour vivre une vie de célibataire, j’aurais carrément adoré! Ceci dit, j’irai peut-être jeter un coup d’œil au webtoon, pour voir de quoi il retourne et si les remarques que j’ai pu formuler y sont valables ou pas.

Si de votre côté vous avez adoré cette BD, je serai ravie de lire vos avis constructifs en commentaires!

Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout et à très bientôt pour une nouvelle chronique!