« L’infini dans un roseau », d’Irene Vallejo

Présentation de l’œuvre

Titre : L’infini dans un roseau. L’invention des livres dans l’Antiquité.

Autrice : Irene Vallejo

Éditeur : Les Belles Lettres

Parution : 10 Septembre 2021

EAN/ISBN : 9782251452210

Résumé : Quand les livres ont-ils été inventés ? Comment ont-ils traversé les siècles pour se frayer une place dans nos librairies, nos bibliothèques, sur nos étagères ? Grâce à son formidable talent de conteuse, Irene Vallejo nous fait découvrir cette route parsemée d’inventions révolutionnaires et de tragédies dont les livres sont toujours ressortis plus forts et plus pérennes.

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire L’infini dans un roseau?

C’est au détour d’un voyage que ma rencontre coup de foudre avec L’infini dans un roseau a eu lieu. J’ai repéré cet essai en me baladant dans le Relay de l’aéroport de Lyon Saint Exupéry (je vis dans le lyonnais). Sa couverture atypique, blanche et épurée, a tout de suite attiré mon œil. Ses titre et sous-titre m’ont intriguée et son résumé a achevé de me conquérir.

Je ne l’ai pourtant pas acheté à ce moment-là, me disant que ce n’était pas mon style de prédilection, qu’il était quand même sacrément costaud (500 pages tout de même!) et que cet achat pouvait attendre. Sauf que… je me rendais à Bordeaux, ma ville natale, où se trouve ma Mecque livresque, la librairie Mollat, dans laquelle je me rends à chacune de mes incursions dans le bordelais. Et là, ce fut le drame… mais non, je plaisante!

Vous pensez, j’ai été plus que ravie de céder à ce que j’ai considéré comme un signe, un appel du pied de ce livre qui voulait que nous nous rencontrions et que nous restions ensemble! Je n’ai en effet même pas eu à le chercher : mes yeux se sont posés sur lui par hasard en entrant à Mollat alors que je me dirigeais vers mon rayon polar chouchou! Ni une, ni deux, je l’ai embarqué en passant.

C’est ainsi qu’a débuté ma relation avec ce qui est à ce jour le plus beau livre que j’ai jamais lu.

De la difficulté de chroniquer un livre qui vous a bouleversé

Ce livre est à ce jour le plus difficile que j’ai eu à chroniquer car tous les mots du monde ne rendront jamais la puissance du tsunami d’émotions que j’ai ressenti en le lisant.

C’est simple : je l’ai lu en janvier et je rédige ma chronique en août car je me suis suffisamment remise de ma lecture pour pouvoir vous en parler de façon plus objective et constructive. Si je l’avais chroniqué à chaud, je n’aurai pu vous dire que « il est génial, il est parfait, c’est un coup de foudre, lisez-le, achetez-le! », ce qui, soyons honnêtes, est un peu limité comme argumentaire! J’ai tendance à fuir ce type d’avis, ce n’est pas pour vous en donner un échantillon sur mon blog, surtout sur LE livre qui m’a marqué parmi tous ceux que j’ai lu depuis mon enfance, et croyez-moi, il y en a eu!

Enfin, une autre difficulté réside selon moi dans le fait que je trouve plus facile de développer une critique négative qu’une positive. Je ne sais pas si c’est le cas pour vous mais lorsque plusieurs éléments dans un livre ne me plaisent pas, je les repère vite car ils m’énervent en gâchant ma lecture. Je suis donc en mesure d’en dresser une liste qui justifie mon ressenti et ma chronique s’organise autour de ces points. Mais quand c’est le livre dans son ensemble qui vous a captivé, que vous n’arrivez pas à distinguer les ressorts qui ont fait que vous avez succombé, c’est beaucoup plus compliqué… Je sais maintenant un peu mieux ce qui m’a séduit dans L’infini dans un roseau mais une part majoritaire de l’attrait que ce livre a exercé sur moi relèvera toujours de la magie à mes yeux.

Ceci dit, trêve de blabla! Voyons de plus près ce qui a fait que L’infini dans un roseau est pour moi l’essai que toute personne amoureuse des livres doit avoir lu au moins une fois dans sa vie et se doit de posséder.

Irene Vallejo, Shéhérazade des penseurs et chercheurs du XIXè siècle.

C’est peut-être le premier élément magique de cet essai et il va être difficile à expliquer ! Irene Vallejo a en effet cette capacité extraordinaire à vous perdre sans vous perdre dans son récit. Elle part d’un point Z et vous entraîne via B et T à rejoindre le point A, cœur névralgique de son essai. Compliqué, n’est-ce pas?

Elle s’appuie sur un travail de recherche très poussé, étant elle-même chercheuse (elle a un doctorat en philologie classique). Cependant, jamais vous ne ressentez le côté rébarbatif que pourrait avoir un cours d’histoire ou un essai pontifiant. Lorsque vous attaquez un chapitre et que vous ne comprenez pas de prime abord le lien entre le thème abordé et le sujet du livre, comme par exemple dans l’introduction où elle décrit de mystérieux cavaliers sillonnant la Grèce, à chaque fois Irene Vallejo vous ramènera au sujet par une des circonvolutions dont elle a le secret. Quelle que soit la section de l’essai, vous reviendrez toujours à l’invention des livres et tout ce que vous avez lu jusque là et qui vous paraissait hors sujet trouvera sa justification et sa logique dans l’explication de parcours qu’elle donne. Tout est expliqué, rien n’est laissé au hasard mais vous avez pourtant cette impression de spontanéité dans le récit, comme si les idées lui étaient venues dans cet ordre naturellement. C’est brillant!

La construction intellectuelle est donc très fine et bien particulière et elle est magnifiée par le style d’écriture d’Irene, Shéhérazade des penseurs et chercheurs du XIXème siècle. Grâce à son talent inné de conteuse, vous apprenez une myriade d’anecdotes historiques sur la création du livre sans même vous en rendre compte et surtout, sans jamais vous ennuyer et sans jamais avoir de sensation de répétition. Elle a de plus cette capacité extraordinaire à vous faire réfléchir et penser par vous-même, en vous accompagnant dans son raisonnement qu’elle vous permet de vous approprier. Attention, je ne dis pas pour autant que la lecture de L’infini dans un roseau est facile! Elle est fluide et extrêmement agréable mais il m’a été parfois nécessaire de faire des pauses car le savoir exposé et la structuration de pensée d’Irene Vallejo nécessite une certaine gymnastique intellectuelle qui peut fatiguer l’esprit. De plus, l’essai fait quand même 500 pages, sans compter les notes et la bibliographie : ce n’est pas rien!

Il n’en reste pas moins que ces 500 pages se dévorent avec délectation. Vous voulez en savoir plus, vous voulez comprendre pourquoi Irene évoque ces chevaliers qui parcourent les terres grecques sous les yeux de paysans méfiants. Bref, vous voulez continuer à lire!

Les livres, survivants de l’histoire

On entend très souvent dire que le livre est mort, qu’il ne survivra pas aux nouvelles technologies mais Irene Vallejo nous rappelle que nous avons toujours des fragments des premiers ouvrages qui ont jamais été écrits. Pour elle, et l’Histoire lui donne raison, aucun support ayant servi à écrire n’a vraiment été supplanté par un autre. Aux tablettes d’argile ont succédé le papyrus long et fragile, le parchemin puis la pâte à papier que nous connaissons aujourd’hui. Chacun des supports a copié, recopié, annoté ce qui figurait déjà sur des supports plus anciens, et les musées regorgent d’exemplaires uniques de ces supports.

C’est ainsi que l’Iliade et l’Odyssée d’Homère ont survécu à travers les siècles (même si c’est sous forme partielle), que des morceaux des textes de Socrate, Platon, Aristote, Euclide, Pline, César, Charlemagne et tant d’autres nous sont parvenus, que des tapisseries retraçant l’histoire des Indiens d’Amérique existent toujours, que les hiéroglyphes ont pu être déchiffrés. Ces écrits anciens sont le fondement de la culture occidentale, et il existe la même chose pour d’autres cultures sur d’autres continents.

Pour Irene Vallejo, la force du livre réside dans la capacité continue qu’a eue l’homme de l’adapter à ses besoins et à ses ressources locales. Pour elle, le livre ne mourra jamais car tel le Phénix, il s’est toujours relevé de ses cendres, même si c’est partiellement et partialement. Grâce à la ténacité et à la volonté de plusieurs personnages de pouvoir et au dévouement de passionnés (les érudits du temps d’Alexandre Le Grand, les moines copistes, les bibliothécaires, les libraires…), il a traversé les siècles et continue d’exister aujourd’hui. Sa forme a changé, sa fonction aussi; son public s’est élargi. Certes, une grande partie des savoirs antiques sont aujourd’hui perdus à jamais mais Irene Vallejo nous rappelle la chance incroyable que nous avons d’avoir encore une trace, même infime, de ces écrits fragiles qui ont été protégés de l’usure du temps, des guerres, des incendies, des animaux et autres fléaux par des passionnés qui ont pu parfois même mourir pour eux.

L’invention du livre comme porte d’accès à de multiples sujets.

L’une des très grandes forces de cet essai est que son thème central permet à l’autrice d’aborder des sujets extrêmement variés qu’elle arrive à lui rattacher de façon naturelle. Imaginez que l’invention du livre soit la pièce centrale et d’entrée à partir de laquelle toutes les pièces d’un appartement sont distribuées en étoile, chaque pièce étant un sujet. A partir de l’invention du livre, Irene Vallejo aborde plusieurs grandes questions encore d’actualité de nos jours : l’évolution des supports d’écriture, l’accès au savoir, les manières de lire, la lutte pour le pouvoir qui passe par l’éradication de l’écrit et la confiscation du savoir, l’influence des religions qui a décru avec l’extension de l’alphabétisation, le féminisme avec l’oubli qui pèse sur les premières femmes autrices, les guerres qui ont très souvent ravagé les traces écrites, les bibliothèques qui ont survécu depuis la Grèce Antique et même au-delà ou encore l’écologie.

La lutte pour la reconnaissance des droits et des apports des femmes dans l’Histoire est ainsi abordée par le prisme des personnages féminins dans les livres et par les premières autrices connues dans l’Antiquité. Mais attention, Irene Vallejo ne se contente pas de les lister et de réciter leur biographie : ce serait trop banal! Pour plusieurs d’entre elles, elle tente d’expliquer, sources à l’appui, esprit critique et objectivité en bandoulière, le rapport qu’elles pouvaient avoir avec leur production littéraire et les hommes de leur époque. Elle tente ainsi d’expliquer de façon rationnelle et imagée en même temps les raisons de la disparition des femmes dans les origines du livre. Le discours féministe qui est tenu dans certaines sections de l’essai est ainsi cohérent sur le plan historique et rhétorique : en maniant les hypothèses, en rappelant le doute constant propre à l’historien, en citant ses sources et en replaçant le tout dans un contexte historique précis, Irene Vallejo nous offre une vraie démarche didactique et nous aide à exercer notre propre esprit critique sur son œuvre à elle. Quand je vous dis que c’est une magicienne!

conclusion

Vous l’avez compris, L’infini dans un roseau est donc une véritable déclaration d’amour aux livres. Sans en faire des tonnes, en rappelant des faits historiques qu’elle relie entre eux, Irene Vallejo souligne la force et la fragilité de cet objet que nous aurions pu, en tant qu’humains, éradiquer totalement.

Vous décrire ce qu’il a déclenché chez moi est quasi impossible, comme je vous l’ai expliqué en introduction. Je peux juste vous donner comme indication le fait que j’ai utilisé d’innombrables post-its, achetés exprès pour l’occasion en plus, pour marquer chaque passage, phrase ou idée que je ne voulais pas oublier et que… je n’ai jamais fait ça pour AUCUN des livres que j’ai lus jusque là! Je sais aussi que de l’avoir à côté de moi en rédigeant cette chronique me donne une furieuse envie de replonger la tête la première dedans, et il est certain que ce sera un ouvrage que je relirai régulièrement par pur plaisir.

C’est volontairement que je n’ai pas souligné la beauté de l’objet-livre en lui-même car cet argument était pour moi dérisoire compte-tenu de la force de son contenu. Cependant, les amoureux des beaux livres ne seront pas déçus par la qualité du papier, l’aisance de manipulation du livre et les détails de la somptueuse illustration de couverture. A l’image de son contenu, l’aspect de L’infini dans un roseau est à la fois simple, complexe et significatif.

Mieux qu’un chef-d’œuvre à côté duquel tous les autres livres nous paraitraient fades et qui pourrait provoquer panne de lecture et peur du vide livresque, L’infini dans un roseau est un essai qui magnifie chacune de nos lectures passées et à venir car il leur donne un sens profond. En lisant, nous perpétuons une tradition vieille de plusieurs millénaires, nous contribuons à la renforcer, nous participons à l’histoire du livre et à sa survie à notre petite échelle. Nous VIVONS le livre et lui vit à travers nous, que nous l’aimions ou le détestions, qu’il dorme dans une pile à lire ou soit dévoré aussitôt sorti d’une librairie. Le livre raconte une histoire et nous lui en créons une collectivement et individuellement en l’achetant (ou pas), en le lisant (ou pas), en le collectionnant (ou pas), en le chroniquant (ou pas). C’est une relation puissante, forte, évolutive, toujours riche de sens et qui fonctionne dans les deux sens.

Voilà, c’est la fin de cette chronique qui a mis longtemps à mûrir et qui, je l’espère, saura vous convaincre de vous procurer cette merveille des éditions des Belles Lettres. N’hésitez pas à commenter cet article et à me dire si vous aussi, vous avez eu un coup de foudre absolu pour un livre qui a changé votre vision du monde.

Les grandes oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, de Titiou Lecoq

présentation de l’œuvre

Titre : Les grandes oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes.

Autrice : Titiou Lecoq

Éditeur : L’Iconoclaste

Parution : 16 septembre 2021

EAN/ISBN : 9782378802424

Résumé : A chaque époque, des femmes ont agi, dirigé, créé, gouverné mais elles n’apparaissent pas dans les manuels d’histoire. Du temps des cavernes jusqu’à nos jours, l’autrice passe au crible les découvertes les plus récentes, analyse les mécanismes de la domination masculine et présente quelques vies oubliées.

Premier coup de gueule livresque de 2022 (et de ma vie)!

J’ai emprunté ce livre en médiathèque après en avoir vu plusieurs retours dithyrambiques. Je venais de finir à la même période l’excellent Féminisme pour les nuls qui, malgré un sommaire très complet, n’abordait pas l’angle spécifique de l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire. En tant qu’historienne, j’étais donc ravie de parfaire mes connaissances sur ce sujet.

La chute a été brutale et sans appel.

J’aurais pu vous écrire une chronique humoristico-ironique mais ce livre m’a fait perdre mon sens de l’humour.

J’aurais pu rédiger un avis tout en nuances pour expliquer que je suis passée à côté du livre, qu’il n’était pas pour moi ou que je ne l’ai pas lu à la bonne période. Sauf que ce serait mentir et je ne sais pas faire.

J’aurais pu aussi ne rien écrire et laisser filer sauf qu’il y a tromperie sur la marchandise et ça ne me plaît pas du tout.

On se retrouve donc aujourd’hui pour mon premier coup de gueule livresque de l’année et, je crois bien, de toute ma vie! Et pourtant, je vous assure que je suis bon public mais là, ce n’était juste pas possible.

Voici les 3 éléments principaux qui font que selon moi, cet essai est une vaste blague.

Raison N°1 – La forme

Quand j’ai emprunté ce livre en médiathèque, j’ai été agréablement surprise par son poids et me suis donc naturellement dit que j’aurai affaire à un essai fouillé, d’autant que comme je l’ai écrit plus haut, je venais de finir Le Féminisme pour les nuls qui était lui aussi très lourd et extrêmement complet. Je ne me suis pas méfiée et n’ai pas pensé à le feuilleter avant : grave erreur !! Si je l’avais fait, j’aurai tout de suite constaté que le texte était écrit en caractères énormes (14 ou 16), que les marges étaient outrageusement grandes (au moins 6 ou 7 cm pour celle du bas, et 4 à 5 cm pour celle de gauche) et qu’il y avait des pages entières avec seulement une citation écrite en énorme elle-aussi !

Exemple de citation dans le livre Les grandes oubliées – Crédit photo @lalalalivres.

La préface de Michelle Perrot, figure majeure de la recherche historique au sujet des femmes, a elle aussi été artificiellement gonflée avec une police d’écriture de 18 ou 20, à vue de nez et un texte qui tient sur 3 double pages, lesquelles auraient pu se réduire à une seule si la taille normale de police d’écriture avait été utilisée. A 18€ le livre (j’ai vu qu’il est entre-temps passé à 20,9€ en raison de la pénurie de papier), autant vous dire que j’ai été contente de l’avoir seulement emprunté !

La préface de Michelle Perrot, ou comment faire croire qu’il y a plus de texte qu’en vrai… – Crédit photo : @lalalalivres

Raison n°2 – Les sources mal ou non citées

Dès le début de son essai, l’autrice prétend nous donner accès aux dernières recherches traitant de ce sujet délicat de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire MAIS elle n’est pas capable de les citer correctement une seule fois, ni même de les récapituler en fin d’ouvrage. En tant que journaliste prétendant faire œuvre d’historienne et de vulgarisatrice pour le grand public, c’est un comble! Comment le lectorat qui souhaiterait creuser ce sujet pourra le faire s’il n’a pas les références complètes des sources sur lesquelles Titiou Lecoq prétend s’appuyer? Et quand je parle de références complètes, je ne veux pas dire qu’il manque une ou deux informations mineures, non, non : il manque systématiquement soit le nom de l’auteur, soit le titre de la publication! Les années ne sont pas non plus indiquées, ne nous permettant pas de savoir si elle s’appuie vraiment sur les dernières recherches comme elle le prétend.

Je dois en être à ma 5è utilisation du verbe prétendre en un seul paragraphe, je m’arrêterai là!

Un exemple concret toutefois : elle évoque page 30 « l’hypothèse de la grand-mère » pour expliquer je ne sais plus trop quoi mais n’indique nulle part qui est l’auteur de cette théorie et d’où elle sort. Quelques paragraphes plus loin, la formulation qu’elle emploie montre qu’elle considère cette hypothèse comme une preuve!

La fameuse « hypothèse de la grand-mère » qui devient une preuve quelques pages plus loin… – Crédits photo: @lalalalivres

Pour vous situer le degré d’amateurisme de l’autrice, Nicolas Beuglet, dans son roman Complot, a listé en fin de roman toutes les sources qui lui ont permis de bâtir et crédibiliser son intrigue. On n’en demandait pas autant à cet auteur de polar, ancien journaliste à M6 mais il l’a pourtant fait, ce qui crédibilise tout son roman. Le minimum attendu de la part de Titiou Lecoq était donc qu’elle nous récapitule l’ensemble de ses sources en fin d’ouvrage, comme tout chercheur et journaliste crédible doit le faire.

Un dernier point sur cette question des sources : j’ai arrêté ma lecture à la page 125 lorsqu’elle a mentionné Vikidia, l’encyclopédie en ligne des enfants, comme source pour une définition. Non seulement j’ai trouvé ça extrêmement insultant pour son lectorat qui est quand même loin d’être totalement inculte mais en plus c’est insulter toute sa profession et la communauté des historiennes et historiens à laquelle j’appartiens de par ma formation universitaire (j’ai un master en histoire contemporaine). En effet, la première chose que j’ai apprise à l’université et que j’ai ensuite transmise à tous mes élèves et étudiants, c’est que les encyclopédies collaboratives en ligne comme Wikipédia ou Vikidia NE SONT PAS DES SOURCES! La raison en est très simple : il s’agit de plateformes sur lesquelles les contributions sont écrites par des gens comme vous et moi. Nous sommes donc une source secondaire susceptible d’apporter des erreurs dans les textes que nous écrivons pour ces plateformes, même si les textes sont contrôlés derrière. Le minimum quand on fournit une définition est tout simplement de citer un dictionnaire : les références ne manquent pas!

Raison N°3 – Les biais cognitifs auto-construits

Je crois que c’est peut-être l’aspect le plus ironique de cet essai.

En refusant de prendre en compte des éléments et faits historiques et en privilégiant uniquement les travaux d’historiennes, l’autrice créée elle-même des biais de confirmation qu’elle dénonce pourtant dans son livre, le tout au nom du genre, ce qui est contre productif. Je m’explique.

Ce n’est pas parce qu’une femme a écrit sur les femmes qu’elle sera plus compétente sur la question. Elle peut tout à fait développer un ou plusieurs biais d’analyse du fait justement qu’elle est une femme, tout comme les hommes ont pu développer les leurs en avantageant la part masculine dans l’histoire. Une historienne pourrait (le conditionnel est important) par exemple chercher à privilégier le rôle qu’aurait pu avoir une reine au détriment de certains faits historiques. En clair, la compétence dans l’analyse des faits historiques n’a rien à voir avec le genre de la personne qui travaille sur ce sujet.

En se privant ainsi d’une partie potentielle des travaux de recherches historiques parce qu’ils ont été écrits par des hommes et n’iraient donc potentiellement pas dans son sens, Titiou s’enferme dans sa bulle de confirmation : tous les hommes ont voulu effacer les femmes de l’Histoire, ce qui n’est pas forcément vrai!

Elle nous déconseille aussi de revoir l’épisode de la série « Il était une fois la vie » des années 1980 sur la Préhistoire mais sans nous expliquer pourquoi. Or, la difficulté du travail d’historien réside précisément ici : il faut tenir compte du fait que cet épisode a existé et qu’il montre la vision que l’on avait à l’époque de la femme préhistorique. Titiou Lecoq aurait fait correctement son travail si elle nous avait indiqué que l’épisode en question était emblématique de la vision que l’on avait de la femme à l’époque, à savoir quelqu’un d’effacé qui s’occupe des enfants, mais que grâce aux dernières recherches, cette vision avait évolué au 21è siècle et abouti à une révision complète des paradigmes historiques. Le fait de rejeter un élément qui gêne mais qui a existé est le piège de la recherche, quelle que soit la matière étudiée.

Conclusion : A fuir!

J’ai été énormément déçue par le traitement qu’a réservé Titiou Lecoq à cette thématique fascinante qu’est l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire et surtout que ce livre ait pu passer dans autant de mains sans que personne ne s’indigne que les promesses d’origine ne soient pas tenues.

C’est donc mon premier abandon de 2022, malgré la lecture de 125 pages (70 ou 80 peut-être en taille normale peut-être) et surtout le premier et seul livre qui m’ait jamais énervé de toute ma vie! Sur plus d’une centaine de livres lus par an depuis mes 12 ans environ, cela vous donne une idée de l’étendue de ma déception!

Si vous souhaitez lire des récits intéressants sur ce thème de l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire et d’une manière générale sur le féminisme mais que vous n’y connaissez pas rien, je vous recommande les titres suivants :

  • Le féminisme pour les nuls, pour piocher les informations qui vous intéressent sur toutes les facettes du féminisme
  • Les deux volumes des Culottées de l’excellente Pénélope Bagieu, qui illustre les vies de femmes méconnues historiquement parlant
  • L’excellente BD Alice Guy de Catel et Boquet qui, bien qu’incomplète, a le mérite de ne pas minimiser les erreurs commises par les historiens lorsqu’ils se sont penchés sur l’histoire de Léon Gaumont.

N’hésitez pas à laisser un commentaire si ce livre vous plu ou déplu, pour que nous en discutions!