« Ladies with Guns », d’Anlor et Olivier Bocquet

Présentation de l’œuvre

Titre : Ladies with guns

Auteurs : Anlor (dessinatrice), Olivier Bocquet (scénariste), Elvire De Cock (coloriste)

Éditeur : Dargaud

Parution : 14 janvier 2022

Statut : Premier volume d’une série sur laquelle on sait pour l’instant peu de chose.

EAN/ISBN : 9782205087338

Résumé : L’Ouest sauvage n’est pas tendre avec les femmes… Une esclave en fuite, une indienne isolée de sa tribu massacrée, une veuve bourgeoise, une fille de joie et une irlandaise d’une soixantaine d’années réunies par la force des choses. Des hommes qui veulent les maintenir en cage. Des femmes qui décident d’en découdre, et ça va faire mal. Ladies with guns est l’histoire de la rencontre improbable entre des femmes hors du commun refusant d’être des victimes. Un western iconoclaste et jubilatoire où rien ne vous sera épargné.

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire Ladies with guns?

J’ai tout simplement craqué sur le thème et la couverture! Quand j’ai vu les premiers posts sur Instagram de Dargaud qui le présentait comme un western au féminin, j’ai su qu’il me le fallait, d’autant plus que le graphisme correspond tout à fait à ce que j’aime en bande-dessinée : un dessin travaillé, le souci du détail et des couleurs chaudes.

Je n’étais cependant pas certaine que l’histoire me plairait et souhaitais donc la lire avant tout achat que j’aurai pu regretter après. Il se trouve que j’ai eu la chance à ce moment-là de pouvoir l’emprunter dans le cadre de mon CDD de libraire en janvier/février, ce qui me permet pour l’instant de remettre mon achat à plus tard, soit très exactement à la date de sortie du second volet!

Mon avis sur Ladies with guns

Sans égaler le dernier tome de Blacksad que j’ai lu en même temps, Ladies with guns est une bande-dessinée qui se défend très bien sur plusieurs plans, et un peu moins bien sur d’autres.

Visuellement, elle est difficile à décrire car le dessin est à la fois beau et repoussant. Je m’explique. Il y a dans le coup de crayon d’Anlor sur cette BD deux dimensions : la globale/macro et la particulière/micro. Le visuel général des planches est beau mais vous ressentez toujours comme un parasitage, un petit quelque chose qui dérange votre œil, un infime détail perturbant. Ce détail, vous le repérez en zoomant dans les cases de la page dont au moins une contient un élément bizarre, que ce soit dans les traits des personnages, le choix d’une couleur pour un décor ou un objet qui n’est pas à sa place. J’ai mis un peu de temps avant de repérer ces éléments « perturbateurs » que je suis peut-être la seule à ressentir comme tels, mais au bout d’une dizaine de pages, je n’y prêtais plus attention, étant happée par l’histoire qui est assortie à ce dessin bien particulier.

On pourrait s’imaginer à lire le résumé que Ladies with guns va être une énième histoire voguant sur la mode de la réécriture féministe d’univers jusque-là très masculins, le western dans le cas présent. Rien n’est moins vrai! L’important ici est que les cinq héroïnes sont soit issues de minorités, soit ne se conforment pas aux règles établies. Leur statut de femmes est « seulement » un facteur aggravant. Kathleen, la bourgeoise anglaise, perd son mari durant leur périple à travers l’Ouest américain pour rejoindre leur mine d’or mais elle refuse de se laisser intimider par les hommes qui l’accompagnent. Elle se procure une arme et n’hésite pas à s’en servir. Daisy est l’institutrice irlandaise retraitée d’une petite ville perdue dans l’Ouest américain. Crainte par le shérif et par les hommes en général, sa façon de vivre en recluse, sans mari ni enfants, dérange, d’autant qu’elle ne s’en laisse pas compter. Abigail, la jeune esclave noire, a été violée, battue puis vendue car elle s’est moquée de son maître lorsqu’il a voulu la prendre. Elle réussit malgré tout à se débarrasser de ses geôliers et à se cacher dans la forêt, dans sa cage fermée toutefois. Chumani l’Indienne, redoutable tireuse à l’arc, veut se venger de Kathleen qui a tué son frère, et des Blancs en général qui ont massacré sa tribu. Enfin, Cassie, la « pourvoyeuse de plaisirs » noire et cynique, garde encore une bonne part d’ombre mais révèle qu’elle s’est enfuie du bordel où elle travaillait pour échapper à sa condition de femme exploitée.

Ces cinq femmes n’ont donc pas grand chose en commun à part… leur statut de femme justement. Elles n’auraient jamais eu l’occasion de se retrouver sans le scénario d’Olivier Bocquet qui les fait se rencontrer dans des conditions assez délirantes, notamment dans les premières planches où Abigail, la jeune esclave enfermée dans sa cage, calme Kathleen et Chumani, sur le point de s’entretuer. Les trois femmes vont finir par s’entraider et trouvent refuge chez Daisy puis Cassie s’ajoutera dans l’équation un peu plus tard, grâce à la magie d’une couverture sur un chariot. Cependant, les conditions de leur rencontre pèsent finalement peu par rapport aux questions que soulèvent chacune de leurs histoires personnelles. L’esclavagisme pour Abigail, l’extermination des Indiens pour Chumani, la prostitution pour Cassie, la condition de la femme seule et étrangère dans l’Ouest américain, qu’elle soit veuve comme Kathleen ou vieille fille comme Daisy : tous ces thèmes apparaissent en filigrane par flashbacks et démystifient la conquête de l’Ouest telle qu’on la connaît, en en montrant les aspects plus déplaisants et sombres. Ladies with guns n’est pas seulement un western féministe, c’est aussi l’histoire de la conquête de l’Ouest et celle de l’Amérique montrée sous un jour moins glorieux mais plus réaliste.

Si on retrouve bien tous les codes du western dans Ladies with guns, avec une attaque de chariots de pionniers par des Indiens ou des cow-boys fatigués jouant aux cartes dans un saloon sous les yeux d’une mère maquerelle blasée, ils sont ici tournés en ridicule par le scénariste qui en joue pour valoriser ses héroïnes. Les hommes en prennent pour leur grade car pas un n’a de qualités : ils sont couards, faibles, vicieux, idiots ou méchants. Le shérif est ainsi un jeunot pas très doué et vraiment pas courageux, terrorisé par Daisy qui a été son institutrice ; l’épicier est aussi aimable qu’une porte de prison et les hommes de main sont globalement peu malins. Tous ont en commun de se sentir effrayés par ces cinq femmes qui ne jouent pas selon les règles habituelles. Elles ne rentrent pas dans les cases prévues pour elles donc il faut leur faire comprendre, par la violence tant qu’à faire, le rôle de femmes dociles à leur service qu’elles doivent tenir. Sauf que la réaction des hommes est disproportionnée par rapport à la gravité de ce qui leur est reproché et les femmes elles-mêmes n’avaient pas prévu cette escalade. La BD se termine sur une scène à couteaux tirés d’anthologie qui occupe bien une dizaine de pages, où Anlor se fait plaisir et nous plonge dans la bataille visuellement en déstructurant les cases habituelles de la BD. La fin du volume propose une ouverture appelant clairement une suite, les fameuses affiches « Wanted » étant placardées pour chacune de nos cinq héroïnes.

Conclusion – Une très bonne bande-dessinée mais il manque un petit truc.

J’ai passé un excellent moment avec les personnages et l’univers créés par Anlor et Olivier Bocquet mais il manque à mes yeux ce petit quelque chose qui aurait fait basculer Ladies with guns de très bonne bande-dessinée à coup de cœur. Pour moi, les personnages sont peut-être un peu trop caricaturaux et le récit manquait un peu de profondeur au niveau de ses héroïnes dont toutes les histoires ne sont pas exposées mais comme un volume 2 est probablement en route, je réserve mon avis définitif sur la série pour le jour où la suite sortira!

En attendant, si vous aimez les westerns et les surprises, je ne peux que vous conseiller la lecture de cette BD graphiquement originale, au scénario surprenant mais cohérent malgré tout et qui sort des sentiers battus!