Les grandes oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, de Titiou Lecoq
présentation de l’œuvre
Titre : Les grandes oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes.
Autrice : Titiou Lecoq
Éditeur : L’Iconoclaste
Parution : 16 septembre 2021
EAN/ISBN : 9782378802424
Résumé : A chaque époque, des femmes ont agi, dirigé, créé, gouverné mais elles n’apparaissent pas dans les manuels d’histoire. Du temps des cavernes jusqu’à nos jours, l’autrice passe au crible les découvertes les plus récentes, analyse les mécanismes de la domination masculine et présente quelques vies oubliées.
Premier coup de gueule livresque de 2022 (et de ma vie)!
J’ai emprunté ce livre en médiathèque après en avoir vu plusieurs retours dithyrambiques. Je venais de finir à la même période l’excellent Féminisme pour les nuls qui, malgré un sommaire très complet, n’abordait pas l’angle spécifique de l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire. En tant qu’historienne, j’étais donc ravie de parfaire mes connaissances sur ce sujet.
La chute a été brutale et sans appel.
J’aurais pu vous écrire une chronique humoristico-ironique mais ce livre m’a fait perdre mon sens de l’humour.
J’aurais pu rédiger un avis tout en nuances pour expliquer que je suis passée à côté du livre, qu’il n’était pas pour moi ou que je ne l’ai pas lu à la bonne période. Sauf que ce serait mentir et je ne sais pas faire.
J’aurais pu aussi ne rien écrire et laisser filer sauf qu’il y a tromperie sur la marchandise et ça ne me plaît pas du tout.
On se retrouve donc aujourd’hui pour mon premier coup de gueule livresque de l’année et, je crois bien, de toute ma vie! Et pourtant, je vous assure que je suis bon public mais là, ce n’était juste pas possible.
Voici les 3 éléments principaux qui font que selon moi, cet essai est une vaste blague.
Raison N°1 – La forme
Quand j’ai emprunté ce livre en médiathèque, j’ai été agréablement surprise par son poids et me suis donc naturellement dit que j’aurai affaire à un essai fouillé, d’autant que comme je l’ai écrit plus haut, je venais de finir Le Féminisme pour les nuls qui était lui aussi très lourd et extrêmement complet. Je ne me suis pas méfiée et n’ai pas pensé à le feuilleter avant : grave erreur !! Si je l’avais fait, j’aurai tout de suite constaté que le texte était écrit en caractères énormes (14 ou 16), que les marges étaient outrageusement grandes (au moins 6 ou 7 cm pour celle du bas, et 4 à 5 cm pour celle de gauche) et qu’il y avait des pages entières avec seulement une citation écrite en énorme elle-aussi !
La préface de Michelle Perrot, figure majeure de la recherche historique au sujet des femmes, a elle aussi été artificiellement gonflée avec une police d’écriture de 18 ou 20, à vue de nez et un texte qui tient sur 3 double pages, lesquelles auraient pu se réduire à une seule si la taille normale de police d’écriture avait été utilisée. A 18€ le livre (j’ai vu qu’il est entre-temps passé à 20,9€ en raison de la pénurie de papier), autant vous dire que j’ai été contente de l’avoir seulement emprunté !
Raison n°2 – Les sources mal ou non citées
Dès le début de son essai, l’autrice prétend nous donner accès aux dernières recherches traitant de ce sujet délicat de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire MAIS elle n’est pas capable de les citer correctement une seule fois, ni même de les récapituler en fin d’ouvrage. En tant que journaliste prétendant faire œuvre d’historienne et de vulgarisatrice pour le grand public, c’est un comble! Comment le lectorat qui souhaiterait creuser ce sujet pourra le faire s’il n’a pas les références complètes des sources sur lesquelles Titiou Lecoq prétend s’appuyer? Et quand je parle de références complètes, je ne veux pas dire qu’il manque une ou deux informations mineures, non, non : il manque systématiquement soit le nom de l’auteur, soit le titre de la publication! Les années ne sont pas non plus indiquées, ne nous permettant pas de savoir si elle s’appuie vraiment sur les dernières recherches comme elle le prétend.
Je dois en être à ma 5è utilisation du verbe prétendre en un seul paragraphe, je m’arrêterai là!
Un exemple concret toutefois : elle évoque page 30 « l’hypothèse de la grand-mère » pour expliquer je ne sais plus trop quoi mais n’indique nulle part qui est l’auteur de cette théorie et d’où elle sort. Quelques paragraphes plus loin, la formulation qu’elle emploie montre qu’elle considère cette hypothèse comme une preuve!
Pour vous situer le degré d’amateurisme de l’autrice, Nicolas Beuglet, dans son roman Complot, a listé en fin de roman toutes les sources qui lui ont permis de bâtir et crédibiliser son intrigue. On n’en demandait pas autant à cet auteur de polar, ancien journaliste à M6 mais il l’a pourtant fait, ce qui crédibilise tout son roman. Le minimum attendu de la part de Titiou Lecoq était donc qu’elle nous récapitule l’ensemble de ses sources en fin d’ouvrage, comme tout chercheur et journaliste crédible doit le faire.
Un dernier point sur cette question des sources : j’ai arrêté ma lecture à la page 125 lorsqu’elle a mentionné Vikidia, l’encyclopédie en ligne des enfants, comme source pour une définition. Non seulement j’ai trouvé ça extrêmement insultant pour son lectorat qui est quand même loin d’être totalement inculte mais en plus c’est insulter toute sa profession et la communauté des historiennes et historiens à laquelle j’appartiens de par ma formation universitaire (j’ai un master en histoire contemporaine). En effet, la première chose que j’ai apprise à l’université et que j’ai ensuite transmise à tous mes élèves et étudiants, c’est que les encyclopédies collaboratives en ligne comme Wikipédia ou Vikidia NE SONT PAS DES SOURCES! La raison en est très simple : il s’agit de plateformes sur lesquelles les contributions sont écrites par des gens comme vous et moi. Nous sommes donc une source secondaire susceptible d’apporter des erreurs dans les textes que nous écrivons pour ces plateformes, même si les textes sont contrôlés derrière. Le minimum quand on fournit une définition est tout simplement de citer un dictionnaire : les références ne manquent pas!
Raison N°3 – Les biais cognitifs auto-construits
Je crois que c’est peut-être l’aspect le plus ironique de cet essai.
En refusant de prendre en compte des éléments et faits historiques et en privilégiant uniquement les travaux d’historiennes, l’autrice créée elle-même des biais de confirmation qu’elle dénonce pourtant dans son livre, le tout au nom du genre, ce qui est contre productif. Je m’explique.
Ce n’est pas parce qu’une femme a écrit sur les femmes qu’elle sera plus compétente sur la question. Elle peut tout à fait développer un ou plusieurs biais d’analyse du fait justement qu’elle est une femme, tout comme les hommes ont pu développer les leurs en avantageant la part masculine dans l’histoire. Une historienne pourrait (le conditionnel est important) par exemple chercher à privilégier le rôle qu’aurait pu avoir une reine au détriment de certains faits historiques. En clair, la compétence dans l’analyse des faits historiques n’a rien à voir avec le genre de la personne qui travaille sur ce sujet.
En se privant ainsi d’une partie potentielle des travaux de recherches historiques parce qu’ils ont été écrits par des hommes et n’iraient donc potentiellement pas dans son sens, Titiou s’enferme dans sa bulle de confirmation : tous les hommes ont voulu effacer les femmes de l’Histoire, ce qui n’est pas forcément vrai!
Elle nous déconseille aussi de revoir l’épisode de la série « Il était une fois la vie » des années 1980 sur la Préhistoire mais sans nous expliquer pourquoi. Or, la difficulté du travail d’historien réside précisément ici : il faut tenir compte du fait que cet épisode a existé et qu’il montre la vision que l’on avait à l’époque de la femme préhistorique. Titiou Lecoq aurait fait correctement son travail si elle nous avait indiqué que l’épisode en question était emblématique de la vision que l’on avait de la femme à l’époque, à savoir quelqu’un d’effacé qui s’occupe des enfants, mais que grâce aux dernières recherches, cette vision avait évolué au 21è siècle et abouti à une révision complète des paradigmes historiques. Le fait de rejeter un élément qui gêne mais qui a existé est le piège de la recherche, quelle que soit la matière étudiée.
Conclusion : A fuir!
J’ai été énormément déçue par le traitement qu’a réservé Titiou Lecoq à cette thématique fascinante qu’est l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire et surtout que ce livre ait pu passer dans autant de mains sans que personne ne s’indigne que les promesses d’origine ne soient pas tenues.
C’est donc mon premier abandon de 2022, malgré la lecture de 125 pages (70 ou 80 peut-être en taille normale peut-être) et surtout le premier et seul livre qui m’ait jamais énervé de toute ma vie! Sur plus d’une centaine de livres lus par an depuis mes 12 ans environ, cela vous donne une idée de l’étendue de ma déception!
Si vous souhaitez lire des récits intéressants sur ce thème de l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire et d’une manière générale sur le féminisme mais que vous n’y connaissez pas rien, je vous recommande les titres suivants :
- Le féminisme pour les nuls, pour piocher les informations qui vous intéressent sur toutes les facettes du féminisme
- Les deux volumes des Culottées de l’excellente Pénélope Bagieu, qui illustre les vies de femmes méconnues historiquement parlant
- L’excellente BD Alice Guy de Catel et Boquet qui, bien qu’incomplète, a le mérite de ne pas minimiser les erreurs commises par les historiens lorsqu’ils se sont penchés sur l’histoire de Léon Gaumont.
N’hésitez pas à laisser un commentaire si ce livre vous plu ou déplu, pour que nous en discutions!