« Lore olympus » volume 1, de rachel smythe
Titre : Lore Olympus, volume 1
Auteur : Rachel Smythe
Éditeur : Hugo BD
Parution : 6 janvier 2022
ISBN/EAN : 9782755693249
C’est quoi l’histoire, en deux phrases ?
Perséphone, jeune déesse naïve en formation, assiste à sa première fête dans l’Olympe, le royaume des Dieux. Elle y rencontre Hadès, le Dieu des Enfers : le charme opère mais leur histoire connaît des débuts… compliqués.
Qu’est-ce qui t’a poussé à lire ce livre?
A priori, rien ne me destinait à lire un jour cette BD : je ne connaissais pas la série Webtoon dont elle est directement issue, le graphisme et les couleurs ne m’interpellaient pas non plus et quand je vais en librairie, y compris en librairie spécialisée, je traîne beaucoup plus du côté des romans et des mangas que de la bande-dessinée pure et dure. Mais lorsqu’on fréquente la planète Bookstagram, il devient difficile d’ignorer les sorties phénomènes, et Lore Olympus était l’une des premières de 2022. Je dirai même qu’elle a inauguré le bal!
J’appelle « sortie-phénomène » un livre que vous voyez passer sur plusieurs comptes d’influenceuses et influenceurs littéraires sur un laps de temps plus ou moins resserré, aux environs de sa sortie officielle en librairie. Il n’est pas forcément encore lu ni même chroniqué par celleux qui le reçoivent mais vous le voyez mis en scène en photo sur plusieurs comptes, ancrant inconsciemment chez vous l’idée que ce livre va sortir, qu’il est déjà populaire et donc qu’il vous le faut/faudra ;-)!
J’avoue donc humblement avoir en partie cédé aux sirènes de Bookstagram, mais pas seulement. Mon amour et ma fascination pour l’histoire et la mythologie grecques expliquent aussi ma curiosité face à cette réécriture moderne du mythe de Perséphone. Je voulais savoir comment l’autrice s’était débrouillée pour moderniser et populariser à ce point cette légende qui ne figure pas parmi les plus légères ni même les plus connues du répertoire grec, j’y reviendrai plus tard. Enfin, j’ai tout simplement eu la possibilité d’emprunter cette BD dans le cadre du poste de libraire que j’occupais à ce moment-là : comment ne pas résister?
Influence de groupe, curiosité intellectuelle et opportunité professionnelle : voilà donc le cocktail qui m’a fait découvrir Lore Olympus!
Le mythe originel de Perséphone et hadès.
Comme je le disais plus haut, l’histoire de Perséphone et Hadès n’est pas, et de loin, la plus joyeuse, la plus belle ou même la plus connue. J’ai fait cinq ans de grec ancien, trois ans de grec moderne et choisi l’histoire de l’Antiquité en option majeure en licence d’histoire, j’ai également enseigné l’histoire et la littérature et je peux vous assurer qu’Hadès, le dieu des Enfers grecs, n’apparaît presque jamais dans les classiques de la mythologie. Pourquoi un tel désamour me direz-vous? Si je devais me hasarder à émettre une hypothèse, je dirai que l’omnipotence et l’omniprésence de Zeus, le dieu des dieux de l’Olympe, laissent peu de place aux autres, surtout s’ils sont discrets. Vous entendrez ainsi beaucoup parler des divinités olympiennes versant dans l’excès comme Héra, l’épouse officielle de Zeus, maintes fois trompée par lui et qui exerce sa vengeance sur les conquêtes de son mari et sur lui-même à plusieurs reprises de façon violente, Arès, dieu de la guerre et du carnage ou encore Dionysos, dieu du vin, de la fête et des excès mais très peu d’Hestia par exemple, déesse du foyer, qui n’a jamais pris parti dans les combats entre dieux.
Mais revenons au mythe originel de Perséphone et Hadès qui, comme toute les histoires de la mythologie grecque, ne fait pas dans la délicatesse. L’inceste et la violence sont monnaie courante chez ces dieux de l’Olympe qui n’hésitent pas à enlever, tromper, violer ou tuer tout être humain ou divin qui suscite un tant soit peu leur intérêt. Pourquoi est-ce que je vous précise cela? Tout simplement parce que notre Perséphone est la fille de Zeus et Déméter, déesse des Récoltes, qui sont frère et sœur, et qu’elle est enlevée par Hadès, dieu des Enfers et également frère de Zeus et Déméter! En clair, Perséphone est née d’une relation incestueuse entre un frère et une sœur divins et est enlevée par son oncle tout aussi divin qui la force à l’épouser car il en est tombé amoureux de la façon la moins naturelle qui soit.
En effet, en tant que gardien des Enfers, Hadès est chargé de vérifier que les Géants ensevelis sous terre par les dieux lors de la guerre appelée Gigantomachie ne puissent jamais s’échapper. Mais ces Géants ont une force colossale et cherchent à se libérer en provoquant des tremblements de terre et en faisant ressortir leur souffle par les cratères de l’Etna et du Vésuve. Leur agitation oblige Hadès à quitter son royaume souterrain pour inspecter la Terre et vérifier qu’aucune brèche n’est apparue. Son arrivée est remarquée par Aphrodite, déesse de l’Amour, qui trouve son attitude trop arrogante, sans raison particulière. Contrariée, la déesse décide de lui faire connaître les tourments de l’amour et ordonne à Éros de décocher une de ses flèches magiques. Hadès est atteint en plein cœur et voit au même moment Perséphone cueillir une fleur à l’endroit où il se trouve : il tombe ainsi amoureux d’elle. Pour résumer, l’amour d’Hadès pour Perséphone est issu du caprice et du jugement à l’emporte-pièce de la déesse de l’Amour. Vous comprenez mieux pourquoi j’étais curieuse de découvrir comment l’autrice s’était débrouillée pour transformer ce mythe en une histoire accessible au grand public!
La suite de l’histoire n’est pas forcément plus sympathique! Hadès, fou amoureux, demande la main de Perséphone à son frère Zeus, qui est donc aussi le père de la jeune fille. Celui-ci, connaissant l’amour inconditionnel que porte Déméter à sa fille unique, reste neutre : il n’accorde pas sa main mais ne la refuse pas non plus. Hadès prend cette position pour un accord tacite et enlève donc Perséphone qu’il épouse contre son gré et amène avec lui au royaume des Enfers. Déméter, constatant la disparition de sa fille chérie mais ignorant qui en est responsable, quitte l’Olympe et parcourt la Terre à sa recherche, laissant les récoltes à l’abandon. Hélios, le dieu du Soleil, finit par lui révéler l’information qu’elle convoite. Furieuse contre Zeus qui n’a pas empêché cet enlèvement et déterminée à récupérer sa fille, Déméter menace de quitter définitivement l’Olympe si Perséphone ne lui est pas rendue. Conscient de ce que cela implique pour les mortels et pour les dieux (la fin des récoltes et donc la mort des humains qui leur vouent un culte), Zeus dépêche Hermès, le messager des Dieux, auprès de son frère pour lui faire savoir qu’il doit rendre Perséphone. Hadès y consent sous réserve que sa femme n’ait pas encore goûté la nourriture du royaume des Morts. Or, il parvient à lui faire avaler par la ruse six grains de grenade avant son départ. Zeus est alors contraint de céder : Perséphone passera six mois de l’année avec sa mère sur Terre et les six autres mois avec son époux sous terre. Ce compromis fonctionne et explique la saisonnalité des cultures : quand Perséphone est avec sa mère, les plantes poussent (printemps et été) et quand elle rejoint son mari sous terre, la nature meurt (automne et hiver).
Avec le temps, Perséphone s’habitue à son double statut et devient une bonne épouse pour Hadès qui lui est fidèle. Mais il ne faudrait pas croire que la jeune déesse ne fait que subir son sort ou n’est que faiblesse. Elle a pris un amant en la personne d’Adonis et dut le partager avec Aphrodite qui avait elle aussi des vues sur lui et la seule fois où son mari montra de la tendresse pour une autre femme (la nymphe Minthe en l’occurrence), Perséphone la transforma en végétal : la menthe. Le mythe n’explique pas la recette du mojito ceci dit ;-)!
La réécriture du mythe par Rachel smythe
C’est en ayant tout cela à l’esprit que j’ai entamé ma lecture de Lore Olympus. Rachel Smythe parvient à retranscrire en partie l’ambiance assez glauque du mythe d’origine. Les couleurs sont sombres, les dieux capricieux, l’ennui et le vice transparaissent dans certains détails de l’histoire ou dans les caractéristiques de certains personnages. Dans son entreprise de modernisation du mythe, l’autrice a rajeuni tous les dieux de l’Olympe, simplifié les liens familiaux entre eux (exit Hadès oncle de Perséphone!) et transposé toute l’histoire dans un univers très business, où les dieux sont des PDG. Le tout est bien amené et reste crédible.
J’ai eu beaucoup plus de mal avec… tout le reste en fait. Pour commencer, je n’ai pas du tout accroché avec le graphisme. J’ai des goûts assez variés en BD : cela va de Gaston Lagaffe aux Vieux fourneaux en passant par les Tu mourras moins bête de Marion Montaigne ou les Silex and the city de Jul. Les crayonnés de ces séries sont très différents et je ne saurai dire ce qui me fait craquer pour un type de dessin et pas un autre, à part peut-être le souci du détail et des couleurs que je n’ai pas retrouvé dans cet ouvrage. La présentation interne de Lore Olympus donne la sensation d’hésiter entre la bande dessinée classique et le roman graphique et le constant jeu sur trois nuances de couleurs (celles que vous voyez en couverture) m’a vite lassée.
Au-delà de la forme de la BD, je dois aussi avouer que le contenu m’a dérangée à plusieurs niveaux. Pour commencer, j’ai trouvé que l’intrigue était très légère pour un premier volume. Il se passe au final assez peu de choses pour un livre aussi gros : on a tout de même entre les mains un beau bébé d’1,1kg! Les scènes sont parfois décousues et certaines ne sont pas très compréhensibles comme celle de la pousse des cheveux de Perséphone pendant son sommeil. Peut-être faut-il être familier de la série Webtoon pour comprendre?
Ensuite, la réécriture quasi complète du personnage de Perséphone, pensée à l’aune du féminisme et de la femme conquérante propre à notre époque tout en gardant un côté naïf, gentil et très sexualisé, m’a gênée pour deux raisons.
La première, c’est que l’essence même du personnage et du mythe est trahie. Perséphone est une déesse qui subit globalement son sort et est assez transparente à l’origine. La transformer en conquérante de l’indépendance féminine n’a tout simplement pas de sens! D’autres déesses se seraient mieux prêtées à cette incarnation, comme Artémis, Héra ou surtout Déméter, la mère de Perséphone. Ou alors, il aurait fallu prendre le contrepied total de cette personnalité et la rendre complètement rebelle à toute forme de domination, qu’elle soit masculine ou féminine. Garder son côté innocent tout en essayant d’en faire une jeune femme qui se veut indépendante et sérieuse ne fonctionne pas pour moi. Par ailleurs, que ce soit Perséphone ou Hadès, aucun des deux ne tombe amoureux de l’autre naturellement, comme vous l’avez lu plus tôt. Transformer en jolie romance ce qui est à l’origine une relation forcée est certes intéressant, mais totalement mensonger. Vous me direz que Walt Disney a bien fait pareil avec la plupart des contes connus et je vous répondrai que vous avez parfaitement raison:Lore Olympus est donc la version « disneyesque » du mythe de Perséphone et Hadès!
Le second point qui m’a dérangée est le contraste entre la naïveté de Perséphone, sa représentation très sexualisée et son attitude vis-à-vis des hommes. Cela ramène au cliché de la jolie blonde écervelée inconsciente de l’effet qu’elle produit qui a fait le bonheur du cinéma hollywoodien des années 1950 et le malheur des actrices qui incarnaient ce stéréotype. La première scène où elle apparaît et renverse (ou se fait renverser) un liquide quelconque sur sa mini robe pendant qu’Hadès et ses frères l’observent d’en haut est d’une malaisance… Je pensais vraiment qu’on était passés à autre chose en 2022.
Enfin, les personnages sont tous définis par un seul trait de caractère poussé à l’extrême, ce qui les rend au final creux. Perséphone est naïve et gentille au point d’en paraître godiche, Hadès est encore plus tourmenté et ténébreux qu’Edward dans Twilight, Artémis ne sert à rien (ce qui est bien dommage) à part mettre en valeur Perséphone et introduire son frangin Apollon dans l’histoire, ce dernier est un bellâtre qui ne comprend pas le mot « non » (pas merci pour la plus ou moins scène de viol à la fin), Éros est le cliché de l’homosexuel totalement efféminé (au secours!!) et ainsi de suite…
Pour conclure : Mon avis sur Lore Olympus
Vous l’avez deviné, je n’ai pas été emballée par cette lecture pour des raisons de fonds et de forme qui me sont propres et qui ne vous correspondront peut-être pas. Ce ne sera pas non plus une déception car je ne m’attendais à rien de particulier. Lore Olympus sera juste une lecture qui me laissera un arrière-goût un peu plus désagréable qu’une autre. Je ne pense pas que je l’oublierai car la réécriture du personnage de Perséphone m’a dérangée dans le sens où elle ne correspond pas à la signification du mythe d’origine. Si elle avait été transformée en jeune femme rebelle qui envoie balader sa mère et Hadès pour vivre une vie de célibataire, j’aurais carrément adoré! Ceci dit, j’irai peut-être jeter un coup d’œil au webtoon, pour voir de quoi il retourne et si les remarques que j’ai pu formuler y sont valables ou pas.
Si de votre côté vous avez adoré cette BD, je serai ravie de lire vos avis constructifs en commentaires!
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout et à très bientôt pour une nouvelle chronique!