« L’assassin du train – Les sœurs Mitford enquêtent, volume 1 », de Jessica Fellowes

Présentation de l’œuvre

Titre : L’assassin du train Les soeurs Mitford enquêtent, volume 1

Autrice : Jessica Fellowes

Éditeur : Le livre de poche

Parution : 9 Mai 2019

Statut : Premier tome d’une série de cosy mystery organisée autour du personnage fictif de Louisa Cannon, chaperonne des sœurs Mitford qui elles ont bel et bien vécu au début du XXème siècle.

EAN/ISBN : 9782253259909

Résumé : Louisa Cannon rêve d’échapper à sa vie misérable à Londres, mais surtout à son oncle, un homme dangereux. Par miracle, on lui propose un emploi de domestique au service de la famille Mitford qui vit à Asthall Manor, dans la campagne de l’Oxfordshire. Là, elle devient bonne d’enfants, chaperon et confidente des soeurs Mitford, en particulier de Nancy, l’aînée, une jeune fille pétillante à l’esprit romanesque. Mais voilà qu’un crime odieux est commis : une infirmière, Florence Nightingale Shore, est assassinée en plein jour à bord d’un train. Louisa et Nancy se retrouvent bientôt embarquées dans cette sombre affaire. S’inspirant d’un fait réel (le meurtre de Florence Nightingale Shore encore non élucidé à ce jour), ce roman captivant nous emmène dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, des milieux défavorisés aux fastes de la High Society, à travers les déboires de Louisa, jeune servante d’origine modeste, et la soif d’aventure de Nancy, jeune aristocrate effrontée, toutes deux devenues complices et bien décidées à trouver l’assassin du train…

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire L’assassin du train?

C’est encore une fois suite à une proposition de Ludivine des Lectures du Chatpitre que je me suis retrouvée embarquée dans l’aventure! J’avais déjà repéré cette série en me disant qu’elle avait l’air sympa mais je n’avais pas encore franchi le pas de l’achat. Je me disais en effet que rien ne pressait et que j’avais quand même de quoi faire côté lectures. Mais quand Ludivine m’a suggéré que nous lisions ce titre ensemble, j’ai saisi l’occasion et me le suis procuré, décision que je ne regrette absolument pas!

Une série policière à part

Les soeurs Mitford enquêtent est pour moi une série complètement à part dans l’univers des romans policiers, pour des raisons que j’évoquerai un peu plus loin, mais ce n’est pas un cosy mystery, bien qu’il puisse être rangé dans cette catégorie sur les étals des librairies. Je vous explique pourquoi.

Pour celleux qui ne le savent pas, le cosy mystery est un style de roman policier venu tout droit d’Angleterre. Les ingrédients d’un bon cosy sont les suivants : un personnage qui se réfugie ou habite dans la campagne anglaise se retrouve à enquêter un peu malgré lui sur un meurtre, soit en prêtant volontairement main forte à la police, soit en s’invitant dans l’enquête car la police n’est pas très douée. Les enquêtes sont légères, se déroulent dans un village de carte postale souvent isolé où tout le monde se connaît, où les méchants ne sont jamais très méchants et où le thé coule à flots. Pour résumer, le cosy est au roman policier ce qu’est le feel-good à la littérature : une lecture détente.

L’exemple le plus connu de cosy mystery est celui de la série Agatha Raisin de M.C. Beaton, dont le premier tome La quiche fatale est paru en Angleterre en 1992. Ce sous-genre existe donc depuis longtemps mais ne s’est importé en France que depuis quelques années, les premières traductions françaises d’Agatha remontant à 2016.

Or, nous assistons depuis 2020/2021 à une explosion de cette branche particulière du roman policier en France, ce qui conduit à mon sens à une utilisation abusive de l’appellation cosy mystery, celle-ci étant devenue très vendeuse. Ainsi, des romans policiers classiques sont rattachés à ce genre alors qu’ils n’en ont quasiment aucune des caractéristiques. C’est le cas par exemple de L’année du gel d’Agathe Portail, roman policier paru en 2017, réédité en poche il y a peu et présenté sur certains étals de librairie avec les cosy mystery alors qu’il n’en a aucune des caractéristiques sauf celle d’en reproduire très légèrement l’ambiance avec une tante qui materne un peu son neveu gendarme.

Selon moi, la série des Sœurs Mitford enquêtent souffre elle aussi de ce classement abusif dans cette catégorie. Certes, l’héroïne Louisa Cannon n’est pas policière ; elle mène l’enquête en étant secondée par Guy Sullivan qui n’appartient pas aux forces de police traditionnelles puisqu’il est officie pour les chemins de fer. Mais l’ambiance et l’intrigue sont très sombres (il est question de la Première Guerre mondiale et de ses atrocités), l’autrice nous fait ressentir l’insécurité que les femmes pouvaient ressentir à l’époque à travers l’épisode du bal notamment et il règne une tension permanente sur Louisa que son oncle bat et prévoit de prostituer avant qu’elle ne réussisse à s’enfuir : pour le côté cosy (« cocon » en français), on repassera!

A mes yeux, Les sœurs Mitford enquêtent est donc une série policière qui se déroule dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, point. Elle illustrerait parfaitement un sous-genre qui pourrait s’intituler « roman policier historique inspiré de faits réels », au même titre que la série Les enquêtes des sœurs Brontë créée par Bella Ellis qui utilise le même ressort narratif (mêler la vie réelle des sœurs Brontë avec des enquêtes fictives en y ajoutant une touche de surnaturel).

Un savant mélange de réalité et de fiction.

Ce qui fait à mes yeux la grande force et l’originalité de cette série est qu’elle est fondée à 70% sur des faits réels. En effet, le meurtre utilisé dans le cadre de ce premier tome a réellement eu lieu. Il s’agit d’un fait divers qui n’a jamais été élucidé, celui de l’assassinat de Florence Nightingale Shore le 12 janvier 1920 dans le train partant de Londres et ayant pour destination Hastings. Tous les éléments décrits dans le roman sont tirés de la véritable enquête menée à l’époque. Les témoins, les noms, les faits, tout est fidèlement retranscrit par Jessica Fellowes.

Ensuite, les sœurs Mitford ne sont pas des personnages de fiction mais de vraies personnes qui ont vécu entre le début du XXème siècle et le début du XXIème : Déborah, la plus jeune des sœurs, est morte en 2014. Nancy, Pamela, Diana, Unity, Jessica, Déborah et leur unique frère Thomas sont nés entre 1904 et 1920 et ont eu des vies plutôt mouvementées et très différentes. L’autrice fait donc coïncider avec bonheur la chronologie de la vie des Mitford avec celle du fait divers.

Née en 1904 et aînée de la fratrie, Nancy a 16 ans au moment du meurtre de Florence Nightingale Shore, âge que lui prête Jessica Fellowes dans ce premier volume, et il est naturel qu’à cet âge et compte-tenu des nombreux enfants de la maisonnée, une gouvernante soit nécessaire. C’est là que le personnage fictif de Louisa Cannon entre en scène. Il est de notoriété publique que les gouvernantes se sont succedées dans la maison Mitford et que l’éducation des enfants a été assez approximative, bien qu’ils soient issus d’une famille de la haute société britannique. Il était donc facile et logique de faire de Louisa, l’héroïne de la série en duo avec Nancy, une gouvernante en charge de toute la fratrie.

L’autrice réussit donc un savant mélange entre réalité et fiction. Les personnages ayant existé sont retranscrits avec fidélité et l’ajout de Louisa, de sa famille et de Guy Sullivan, le policier des chemins de fer aspirant policier tout court, se fait assez naturellement.

Des personnages attachants, une intrigue complexe et bien menée.

Dans L’assassin du train, qui est donc le premier tome de sa série, Jessica Fellowes met l’accent sur les personnages de Louisa, Guy et Nancy que nous retrouverons dans les volumes suivants.

Louisa Cannon est un personnage à l’histoire trouble et assez lourde à porter. Nous apprenons dès le début qu’elle a perdu son père, qu’elle vit avec sa mère qui est blanchisseuse et que son oncle est un homme violent qui l’a formée dès son plus jeune âge à devenir pickpocket et veut la prostituer pour payer ses dettes. Il vit avec sa mère et elle sans contribuer au quotidien. C’est en cherchant à le fuir qu’elle se retrouve dans le train où Florence Nightingale Shore est assassinée. Elle rencontre sur le quai de la gare Guy Sullivan, un policier des chemins de fer intelligent, qui va chercher à comprendre ce qu’il s’est passé dans le train en dépit des ordres de ses supérieurs et alors même que l’enquête a été menée à son terme, sans conclusion satisfaisante selon lui. Pour rappel, dans la réalité, le meurtre de Florence Nightingale Shore est resté irrésolu. Louisa de son côté va réussir à se faire embaucher comme gouvernante des enfants Mitford et le lien avec l’infirmière assassinée se fait par la cuisinière de la maison dont la sœur était en relation avec elle.

Ce fait divers et le lien double le rattachant à la maison Mitford (via la cuisinière et via Louisa) va exciter l’imagination déjà très fertile de Nancy, l’aînée de la fratrie, jeune fille de seize ans particulièrement vive d’esprit mais également assez frivole. Elle se prend au jeu de l’enquête et cherche à comprendre ce qu’il s’est passé, avec l’aide de Louisa qui est devenue entre temps sa confidente. Les deux jeunes femmes, aidées de Guy qui a succombé au charme de Louisa, vont peu à peu dénouer les nœuds de l’enquête et la résoudre officieusement.

La vivacité de Louisa et Nancy, l’intelligence timide de Guy ainsi que la complexité du principal suspect sont pour beaucoup dans la réussite de ce premier roman, qui pose les bases de la série. Nous entrons dans un univers assez dense et sombre, où les intrigues sont plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord et où les personnages sont attachants.

Quelques invraisemblances et une fin un peu facile

Le seul élément à déplorer dans ce roman concerne les quelques invraisemblances et facilités que se permet l’autrice tout au long de son récit. On citera notamment la résolution on ne peut plus légère, en tous cas à mes yeux, de la situation entre Louisa et son oncle. Celui-ci est donc un homme violent, qui parasite la vie de sa belle-soeur et de sa nièce, les bat, les vole et prévoyait de prostituer Louisa pour régler ses dettes de jeu. Lorsqu’elle réussit à s’enfuir et à se faire embaucher chez les Mitford, elle doit couper les ponts avec sa mère pour qu’il ne la retrouve pas mais elle finit quand même par craquer et il arrive à savoir où elle habite. Il décide donc de s’installer dans le village à côté de la demeure de campagne des Mitford, ce qui terrifie Louisa qui craint que la réputation de son oncle ne vienne ternir la vie qu’elle s’est reconstruite. Cette situation qui semble donc inextricable est en fait résolue par le principal suspect dans l’enquête menée par Louisa et Nancy, qui ira simplement « discuter » avec l’oncle, sans que l’on connaisse la teneur de leur discussion, et cela suffira pour que l’oncle décide de laisser tranquille nièce et belle-sœur pour s’engager dans l’armée… Pourquoi pas? Mais c’est un peu court pour moi!

L’arrivée de Louisa dans la famille Mitford est également assez peu crédible puisqu’elle rate, à cause de son oncle, son premier entretien d’embauche pour la famille. Elle se présente malgré tout à leur demeure de campagne avec un jour de retard, sans affaires et après avoir marché plusieurs heures. Bien qu’elle ait rencontré au préalable Nancy grâce à une de ses amies qui la lui a présentée et que cette amie l’a recommandée auprès des Mitford, il paraît néanmoins peu crédible que Louisa ait pu être recrutée aussi « facilement » en se présentant de façon aussi cavalière. L’urgence d’un recrutement pour gérer les enfants peut justifier son engagement mais dans la haute société anglaise de l’Entre-deux-Guerres, il fallait quand même un peu plus de recommandations.

Enfin, le dénouement est assez facile (je n’insiste pas dessus pour ne pas spoiler).

Ceci étant dit, ces invraisemblances et facilités n’ôtent rien à la qualité du récit et contribuent même à lui donner un petit côté suranné très plaisant! J’ai donc hâte de me plonger dans la suite des enquêtes des sœurs Mitford et de lire leur biographie!

N’hésitez pas à me dire en commentaires si vous avez lu cette série et si elle vous a inspiré le même ressenti que moi!

« L’île du Diable », de Nicolas Beuglet (série Sarah Geringën, tome 3)

Présentation de l’œuvre

Titre : L’île du Diable

Auteur : Nicolas Beuglet

Éditeur : Pocket

Parution : 3 septembre 2020

Statut : Troisième tome de la trilogie construite autour de l’inspectrice norvégienne Sarah Geringën après Le cri et Complot.

EAN/ISBN : 9782266307598

Résumé : Le corps recouvert d’une étrange poudre blanche, des extrémités gangrenées et un visage figé dans un rictus de douleur… En observant le cadavre de son père, Sarah Geringën est saisie d’épouvante. Et quand le médecin légiste lui tend la clé retrouvée au fond de son estomac, l’effroi la paralyse. Et si son père n’était pas l’homme qu’il prétendait être ? Des forêts obscures de Norvège aux plaines glaciales de Sibérie, l’ex-inspectrice des forces spéciales s’apprête à affronter un secret de famille terrifiant. Que découvrira-t-elle dans ce vieux manoir perdu dans les bois ? Osera-t-elle se rendre jusqu’à l’île du Diable ?

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire L’île du diable?

Tout est parti de ma découverte du premier volet de la trilogie, Le Cri, que j’ai lu en octobre 2021, avant de me lancer sur Bookstagram et de commencer ce blog. Cette lecture a été un tel plaisir que j’avais décidé de lire les autres tomes. Il se trouve que quelques jours après avoir créé mon compte sur Instagram, j’ai discuté avec Aurélie qui avait elle aussi lu Le Cri, avait adoré et voulait enchaîner avec la suite! Nous nous sommes donc lancées toutes les deux dans un premier temps, et nous avions prévu la lecture de Complot, le volume 2, en décembre 2021. Quelques comptes se sont ajoutés aux nôtres et la lecture a été grandement appréciée, au point que j’ai lancé l’idée de lire L’île du diable en janvier 2022, pour boucler la trilogie. Et voilà!

Petit aperçu de la saga Sarah Geringën

Comme vous l’avez lu plus haut, j’ai déjà lu Le cri et Complot sur 2021. Comme je n’ai commencé ce blog qu’en 2022, je ne pense pas les chroniquer en détail ici donc je vous propose un petit retour sur ces deux premiers opus magistraux.

Le cri nous met en présence de l’inspectrice norvégienne Sarah Geringën qui enquête sur le décès suspect du patient 488 d’un hôpital psychiatrique, figé dans la mort avec un cri de peur primale aux lèvres. S’ensuit un compte à rebours haletant durant lequel Sarah va découvrir la vérité sur la vie après la mort.

Complot ne prend pas la suite directe de l’intrigue du Cri. On retrouve Sarah, installée en Norvège avec Christopher et son fils Simon, qu’elle a rencontrés lors de l’enquête précédente. Elle est appelée sur une scène de crime particulière, un archipel isolé au nord de la Norvège où le corps de la victime, qui n’est autre que la Première ministre du pays, présente des blessures symboliques mystérieuses. Sarah pressent que ce meurtre n’est que le premier d’une série mais elle est systématiquement devancée dans son enquête, comme si quelqu’un lisait dans ses pensées. Le complot qu’elle mettra à jour lui coûtera cher…

Que vous lisiez Le Cri ou Complot, vous en prendrez plein les yeux : ces deux romans sont de vrais page-turners. Les intrigues sont extrêmement bien construites et profondes, avec pour les mener deux personnages qui se complètent bien. Sarah est une inspectrice accomplie, ancienne membre des forces spéciales, belle, distante, professionnelle et parfois glaçante et glaciale dans sa façon d’être. Cet aspect de sa personnalité est atténué par la présence de Christopher, journaliste français beaucoup plus humain et spontané. Ces deux héros se rencontrent et leur couple fonctionne, ce qui rend Sarah plus attachante.

Au niveau des intrigues, les deux sont excellentes mais celle de Complot m’a particulièrement assommée car basée sur des recherches précises et fouillées de l’auteur qui nous fournit sa documentation en fin d’ouvrage. Il y a donc une part de réalité indéniable qui rend cette lecture encore plus marquante et donne envie de se renseigner davantage sur les proportions réelles du complot révélé par Sarah. Je n’en révèle pas plus ici car je devrais alors vous dévoiler le cœur de l’intrigue mais sachez que de l’archéogénétique entre dans la composition du récit.

Pour résumer, j’ai plus qu’adoré Le Cri et Complot : j’ai été happée, fascinée, époustouflée! Le très haut niveau d’excellence du Cri a été encore élevé de plusieurs crans avec Complot pour le plus grand bonheur de la lectrice avide de polars que je suis. J’ai donc inscrit Nicolas Beuglet dans mon Panthéon des auteurs français à suivre, au même titre que Bernard Minier, Jean-Christophe Grangé et Henri Loevensbruck (découverte récente lui aussi mais j’y reviendrai plus tard).

Mon avis sur l’île du diable

Après ces deux excellents premiers tomes et surtout Complot qui a été une claque phénoménale, l’attente était donc importante concernant L’île du Diable. Et force est de constater que malheureusement, le compte n’y est pas.

Pour commencer, même si on dit toujours que la quantité ne fait pas la qualité, L’île du Diable dépasse à peine les 300 pages quand les deux autres tomes en font plus de 550. On est donc clairement sur une histoire qui sera moins développée ou à défaut, plus intense et ramassée. J’ai ressenti de plus une certaine gêne chez l’auteur, comme s’il ne savait pas trop quoi faire de Sarah Geringën après Complot, ce qui est tout à fait normal au vu de la densité de ce roman et du précédent. Pour ne rien vous cacher, j’ai déjà plus ou moins oublié ce qu’il se passe dans le troisième opus, que je mélange dans mon esprit avec le deuxième. Comment expliquer ce phénomène d’oubli et de confusion? Si je devais émettre des hypothèses, je dirais que trois éléments sont en cause.

Le premier est la densité scénaristique des deux premiers tomes. Le Cri est mené tambour battant, les actions s’enchaînent, on n’a pas le temps de se remettre de la chute d’une péripétie qu’une nouvelle prend la suite, et ce jusqu’à la fin du roman, sans temps mort. On retrouve ce rythme haletant dans Complot avec en supplément une densité d’informations technico-scientifiques liées au complot déjoué par Sarah. L’ensemble fait que notre cerveau fonctionne à plein régime pour analyser les données transmises, nous laissant totalement abasourdis au moment de la révélation finale car oui, notre cerveau a fait le cheminement mais n’a pas vu la conclusion arriver et elle est à la fois évidente et choquante. Or, l’intrigue de L’île du diable est en comparaison très classique et souffre donc d’arriver à la fin de la trilogie. Le rythme qui était fluide et rapide dans les deux premiers tomes est ici cassé par des scènes qui semblent posées un peu au hasard, sans lien entre elles. C’est comme si l’auteur avait commencé un puzzle, assemblé le contour et les éléments du centre mais renoncé à relier le tout par manque d’envie ou de temps. On distingue donc le schéma de l’histoire mais il nous manque les détails de liaison qui assurent le rendu définitif. Le potentiel de ce roman m’est ainsi apparu comme un peu gâché.

Le deuxième élément est lié à l’intrigue dont les origines, la mise en place et la résolution manquent à mes yeux de crédibilité et de réalisme. Elle porte de plus des questionnements éthiques et moraux qui sont évacués un peu rapidement à mon goût. Les enfants peuvent-ils/doivent-ils être rendus responsables des actions de leurs parents et grands-parents? Peut-on excuser certains actes lorsqu’ils sont commis en vue d’assurer la survie d’un groupe? La vengeance permet-elle l’expiation des crimes commis? La gravité des crimes commis peut-elle excuser n’importe quel acte de vengeance? Où s’arrête l’escalade dans la vengeance? La haine peut-elle survivre à la mort? Le méchant de l’histoire, son discours, ce qu’il a mis en place sur l’île du Diable, tout est à mes yeux très discutable et pas forcément excusable. Le fait que tous ces points ne soient pas vraiment débattus renforce encore plus mon sentiment de gâchis de potentiel.

Enfin, le troisième élément qui, selon moi, peut expliquer mon « désamour » concerne les personnages, principaux comme secondaires. L’intrigue est organisée autour du père de Sarah, sur lequel l’accent n’a pas été spécifiquement mis dans les volumes précédents, la famille de Sarah étant juste une ombre en arrière-plan, utile pour gérer Simon (le fils adoptif de Christopher) et sans histoire. Que ce personnage transparent meure dans des conditions plus qu’horribles pour expier un « crime » dicté par des circonstances extérieures sur lesquelles ni lui ni personne n’avait de prise à l’époque est assez tiré par les cheveux pour moi, d’autant que le ressort a déjà été utilisé dans la trilogie (mini spoil, je m’arrête là!). Il se trouve aussi que même s’il constitue le nœud de l’intrigue, le focus n’est pas mis sur le père de Sarah ce qui a eu pour effet sur moi de le laisser sans consistance. Je m’explique. Tout ce qui lui arrive dans son enfance est raconté à travers les yeux de tierces personnes qui ne l’ont pas connu ou pas compris : sa fille, le méchant, sa femme. De plus, ces intervenants l’évoquent très vite, surtout sa femme et ce malgré plusieurs années de vie commune. J’ai donc eu l’impression tout au long du roman qu’on s’efforçait de faire vivre un bonhomme en papier, littéralement. Pour couronner le tout, on apprend finalement très peu de choses sur la vie qu’il a eue, ce qui a maintenu chez moi cette sensation de personnage creux auquel l’auteur colle des actions parce que cela aide à faire avancer l’intrigue.

L’autre élément qui n’aide pas à donner corps à ce personnage, c’est… sa fille Sarah, l’héroïne de la trilogie. Elle est monolithique, froide, inhumaine : rien ne l’atteint, rien ne peut la vaincre. Ce côté invincible était déjà flagrant dans les autres volumes mais la présence de Christopher, plus vulnérable et spontané, rejaillissait sur elle et la rendait moins effrayante. Christopher étant beaucoup moins visible dans L’île du Diable, son côté « wonderwoman invincible » ressort. Trop. On dirait un robot! Elle survit tout de même aux évènements traumatisants de trois romans sans séquelles psychologiques ou physiques et elle analyse cliniquement l’assassinat de son père, tué au moment de sa sortie de prison, comme si c’était un meurtre classique. La fin du roman n’aide pas à la considérer comme humaine… peut-être ne l’est-elle pas vraiment ou a-t-elle une dimension légèrement sociopathe qui m’a échappé?

Conclusion – Le livre de trop

L’île du diable souffre clairement d’être passé après les deux monuments de suspense et de complexité scénaristique que sont Le Cri et Complot. J’ai ressenti une gêne chez l’auteur, comme s’il ne savait pas trop quoi faire d’une héroïne dont il avait fait le tour ni comment finir cette histoire. Il est d’ailleurs ensuite passé à une nouvelle série avec une autre inspectrice, Grace Campbell, dans Le dernier message.

Comme pour Matrix que je considère comme un one-shot (les 2, 3 et 4 n’existent pas dans ma matrice), cela ne me dérange pas d’envisager la saga Sarah Geringën comme une duologie. Certes, l’inspectrice est en mauvaise posture à la fin de Complot mais toutes les histoires n’ont pas à finir bien, même si cela aurait provoqué une attente phénoménale qu’il aurait été encore plus difficile de combler. J’ai donc parfaitement conscience que la conclusion de cette trilogie était de toute façon compliquée à trouver.

Au final, même si L’île du Diable est une déception pour moi, il n’enlève rien à la qualité des deux premiers opus de la série et au talent de Nicolas Beuglet dont j’ai bien l’intention de continuer à lire les romans!

« Vengeance sauce piquante », de Sally Andrew (Une enquête de Tannie Maria volume 2)

Présentation de l’œuvre

Titre : Vengeance sauce piquanteUne enquête de Tannie Maria

Autrice : Sally Andrew

Éditeur : Flammarion

Parution : 25/10/2017

Statut : Il s’agit du deuxième volume sur trois d’une série policière autour du personnage de Tannie Maria. Le premier tome, intitulé Recettes d’amour et de meurtre, est paru chez Flammarion en juin 2017 et le troisième, Death on the Limpopo, n’est pas encore traduit en français.

EAN/ISBN : 9782081376106

Résumé : « Est-ce que ça vous est déjà arrivé de vouloir quelque chose très fort ? À trop courir après, vous risquez de tomber sur autre chose que vous n’attendiez pas. C’est peut-être parce que j’avais trop faim d’amour que je me suis retrouvée avec un meurtre au menu. » Tannie Maria, chroniqueuse pour la rubrique « Recettes et conseils amoureux » de la gazette de son petit village situé dans la réserve du Karoo en Afrique du Sud, traverse une mauvaise passe. En plus du souvenir de son défunt mari violent qui la hante, le leader charismatique des Bushmen tombe raide mort sous ses yeux, empoisonné par une sauce à la ciguë après avoir gagné un combat juridique contre les Blancs d’Afrique du sud. Avec l’aide de son amie et collègue Jessie, et celle un peu forcée du séduisant inspecteur Henk Kannemeyer, elle se lance dans l’enquête pour retrouver le coupable, quitte à mettre les pieds dans le plat.

Qu’est-ce qui t’a amenée à lire Vengeance sauce piquante?

C’est en flânant dans les rayonnages de la médiathèque de ma ville que je suis tombée sur ce roman qui m’a séduite pour plusieurs raisons. D’abord, sa couverture, que je trouvais originale et amusante : mêler cuisine et meurtre, ce n’est quand même pas banal! Ensuite, le cadre de l’enquête qui se déroule en Afrique du Sud, pays très peu représenté dans la masse de livres qui garnissent les rayonnages des bibliothèques et les étals des librairies. J’avais l’assurance d’un dépaysement complet vers un pays que je connais seulement à travers quelques noms : Nelson Mandela, apartheid, Neill Blomkamp, Oscar Pistorius, Johannesbourg, Charlize Theron, afrikaners. Autant dire que je ne sais rien de ce pays et de sa culture! Enfin, je n’avais jamais entendu parler de ce roman et de la saga Tannie Maria et je ne connaissais pas l’autrice non plus. Emprunter Vengeance sauce piquante me permettait donc de découvrir une nouvelle autrice et une nouvelle saga policière.

Une couverture originale et colorée pour un cosy mystery dont je n’avais jamais entendu parler, écrit par une autrice que je ne connaissais pas et se déroulant dans un pays peu représenté sur lequel je sais très peu de choses : bingo, c’est gagné!

Un style d’écriture particulier

La première chose qui m’a surprise dans ma lecture de Vengeance sauce piquante est la présence de nombreux termes afrikaners qui ne sont pas traduits. Écrits en italique dans le texte, ils sont en particulier omniprésents dans les premières pages du roman, ce qui m’a beaucoup perturbée au point que j’ai envisagé d’arrêter ma lecture. En effet, ces termes permettent de décrire le cadre de vie de Tannie Maria, qui vit dans une jolie maison située en plein Klein Karoo en Afrique du Sud. Beaucoup d’entre eux décrivent des éléments précis du paysage, de la maison ou encore de la cuisine locale, ce qui a provoqué chez moi une certaine frustration car du fait que je ne lis pas et ne parle pas l’afrikaners ou une langue approchante, les passages truffés de mots dans cette langue me sont restés incompréhensibles.

Heureusement, ce travers ne dure pas trop longtemps et l’autrice revient à un langage plus abordable qu’elle ponctue ça et là d’afrikaners mais pas au point que le sens soit impénétrable, comme au début du livre.

L’autre point important à souligner concernant le style est la présence des lettres que Tannie reçoit de la part des lecteurs de son journal et auxquels elle répond dans sa rubrique. Lettres et réponses figurent dans le roman, servant au choix de prétexte à explorer encore davantage la psyché de Tannie ou de respiration dans l’enquête. Je penche personnellement pour la première option, l’enquête n’occupant qu’une place accessoire comme vous le lirez plus loin.

Enfin, toutes les recettes mentionnées dans le roman figurent à la fin du livre, avec les quantités pour 6 personnes de mémoire. L’autrice nous invite ainsi à compenser la faim que peut provoquer la lecture de son roman (qui doit absolument être lu le ventre plein) en nous proposant de réaliser nous-mêmes le fameux gâteau Vénus qui a l’air d’être une tuerie, entre autres recettes!

Des personnages attachants mais sous exploités.

S’il y a bien un élément positif dans ce roman, ce sont les personnages qui sont hauts en couleur et attachants! Que ce soit Tannie Maria, son amant Henk, ses collègues Jessie et Hattie et tous les autres, ils ont en commun d’être très caractérisés.

Tannie est l’archétype de la victime de violences conjugales qui essaie de se reconstruire mais ne se laisse pas non plus définir par cela. Elle est forte malgré les apparences et parvient à cacher ses lourds secrets à son entourage, du moins jusqu’à un certain point. Elle accepte également l’aide qui lui est proposée par le garagiste-psychologue-chamane, comprenant qu’avouer sa faute (le meurtre de son mari) lui permettra de se libérer et de pouvoir aller de l’avant à la fois avec Henk et pour elle-même. Il est juste dommage que son obsession pour la nourriture soit aussi présente, mais c’est bien là le signe que l’autrice réussit à nous faire entrer dans le cerveau de Tannie!

Henk de son côté est très, voire trop protecteur envers elle, ce qu’elle a un peu de mal à accepter avant de comprendre qu’il a peur de la perdre comme il a perdu sa première femme et comme cela a failli se produire dans le premier tome. Il lui interdit de s’occuper de l’enquête mais finit par réaliser qu’elle y est mêlée malgré elle et que ses connaissances culinaires peuvent vraiment aider à résoudre le meurtre du leader des Bushmen. C’est un homme doux et compréhensif, l’exact contraire du précédent mari de Tannie semble-t-il. Ce côté trop lisse a fini par me déranger car il correspond vraiment à l’homme parfait!

Leur relation amoureuse est bien développée mais marquée par les complications psychologiques liées au blocage de Tannie concernant les violences perpétrées par son mari décédé. Ils arrivent à trouver un équilibre même si tout n’est pas rose non plus.

Enfin, les collègues de Tannie, Jessie la journaliste rebelle et Hattie la rédactrice en chef tirée à quatre épingles, apportent un peu de dynamisme dans le récit. Sans elles, et surtout sans Jessie, l’action et l’enquête n’avanceraient pas très vite. Une galerie de personnages complémentaires a été créée et certains ressortent, notamment quelques membres du groupe de parole comme Fatima (si je me souviens bien de son prénom) et la grecque dont j’ai pour le coup oublié le nom, mais ils sont pour beaucoup sous-exploités, ce qui est dommage.

Une enquête qui passe au second plan

Le meurtre sur lequel enquêtent Tannie et Henk est celui du leader charismatique des Bushmen, un peuple autochtone d’Afrique australe qui a été spolié de ses terres lors de la colonisation. Dans le roman, les Bushmen viennent de remporter un combat juridique face aux grandes entreprises blanches d’Afrique du sud : ils ont récupéré leurs terres ancestrales, ce qui ne satisfait pas forcément les dites entreprises. Le leader de ces Bushmen, dont j’ai complètement oublié le nom (encore un autre!), est empoisonné par une sauce trafiquée qu’il ingère lors d’un festival auquel assiste Tannie Maria et lors duquel elle lui est présentée.

Le contexte politique pourtant très intéressant est cependant relégué au second, voir à l’arrière plan car toute l’attention de l’autrice est concentrée sur la dimension psychologique du personnage de Tannie. Ses angoisses, compensées par ses fringales permanentes et son obsession pour la cuisine, viennent directement des évènements qui se sont déroulées dans le premier tome, Recettes d’amour et de meurtre, qui déjà semble être bien porté sur la cuisine.

Le problème ici est que la résolution de l’intrigue vient comme si l’autrice s’était subitement rappelée qu’elle avait une enquête à boucler. Tannie s’y retrouve ainsi mêlée malgré elle car le groupe de parole auquel elle a décidé de participer pour tenter d’évacuer ses peurs devient l’épicentre de la résolution de l’enquête. Sally Andrew place donc dans ce groupe le coupable du meurtre de l’enquête d’origine, relié au meurtre de l’un des membres du groupe, ce qui est certes pratique mais assez biscornu. Elle ajoute à cela une « enquête secondaire » menée par Jessie avec l’homme aux lapins dont je n’ai pas compris l’intérêt, à part apporter une note écologiste dans le roman, et des touches de surnaturel qui peuvent surprendre même si elles sont bien amenées. Le tout donne une sensation de fouillis qui ne m’a pas vraiment convaincue.

En clair, si vous recherchez une enquête policière haletante ou un cosy mystery détente, passez votre chemin. Vengeance sauce piquante n’est ni vraiment l’un, ni vraiment l’autre. C’est plus une analyse psychologique de l’héroïne, victime de violences conjugales et témoin (ou responsable?) du meurtre de son précédent mari, le tout servi avec d’innombrables recettes de cuisine permettant de distraire notre attention, tout comme celle de Tannie à laquelle nous nous identifions mieux.

Mon avis sur Vengeance sauce piquante

Le problème principal que j’ai rencontré sur cette lecture est que je n’avais pas lu le premier tome, qui est nécessaire pour comprendre les flash-backs de Tannie concernant son mari décédé. Toute la psychologie de Tannie est déterminée par ce qu’il se passe dans Recettes d’amour et de meurtre et clairement, cette lecture m’a manquée pour pleinement apprécier Vengeance sauce piquante. Il est possible de deviner certains évènements mais pas tout malheureusement.

Par ailleurs, j’ai eu du mal dans les premières pages avec les nombreux termes afrikaners qui figurent en italique mais ne sont pas traduits. Certes, cela permet de se plonger dans l’ambiance directement mais lorsque l’on a vraiment aucune idée de ce que la plupart de ces mots signifient, il faut arriver à faire abstraction de ce vocabulaire et accepter qu’on ne comprendra pas toutes les descriptions. Heureusement, la quantité de mots afrikaners baisse drastiquement dans la suite du roman, ce qui permet de comprendre l’action sans difficultés.

Enfin, je dois bien avouer que l’omniprésence de la nourriture et des questions culinaires dans les réflexions de Tannie a fini par m’ennuyer puis m’agacer. Elle passe son temps à manger, à penser à des idées de plats, à cuisiner et même son travail consiste à donner des conseils amoureux assortis d’une recette adaptée! Certes, ses recettes sont à tomber par terre, notamment le fameux gâteau Vénus que j’aimerais bien goûter un jour, et sont fournies à la fin du roman. Il est aussi clair qu’elle compense l’angoisse liée à ce qu’il s’est passé dans le premier tome par la nourriture mais que ce point soit constamment présent dans le roman est au final presque aussi lourd que les plats que Tannie cuisine. Enfin, un élément m’a dérangée dans les conséquences de ce travers : la visite de Tannie chez une nutritionniste qui la juge sur son poids et lui prescrit un régime sans s’interroger sur les causes de ses fringales. Le fait que ce jugement vienne d’une femme mince qui complexe Tannie de surcroît m’a dérangée, d’autant que le médecin homme qu’elle consulte plus tard dans le roman aura un avis bien plus nuancé et respectueux, arguant qu’elle est assez raisonnable et intelligente pour savoir que ses angoisses ne seront probablement pas résolues par un régime.

Pour résumer, Vengeance sauce piquante est un roman qui m’a surprise mais pas que dans le bon sens du terme. J’ai apprécié le cadre dépaysant, les personnages sont attachants mais il faudrait vraiment que je lise le premier tome pour voir si mon avis très mitigé pourrait évoluer vers quelque chose de plus positif. Il y aura de toute façon clairement pour moi le problème rédhibitoire de l’enquête policière reléguée au rang de prétexte à l’exploration du personnage de Tannie. C’est donc une lecture sympathique mais sans plus.